A l’assaut de la route Transfăgărăşan

Lundi 8 août 2022. Jour de départ de Firtos. Nous nous disons au revoir, mais dans nos cœurs, nous savons que ce sont certainement des adieux. Nous n’avons pas vraiment prévu de passer tous nos étés en Roumanie. Eux n’ont pas prévu de venir en France, pour le moment. Lison pleure à chaudes larmes. Embrassades rapides. La famille part amener Chila et Lenka en camp de danse folklorique. Nous partons à l’assaut de la Transfăgărăşan, cette haute route de montagne qui traverse les Carpates.

Mais pas sans le chat. Au moment du départ, vers 10h, il n’est plus là. Prévoyants, nous lui avions bien mis son collier GPS, mais présentement, il est éteint. Cherchez un chat dans une montagne, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Le dénivelé en plus. Les plus courageux cherchent, cherchent et appellent. À midi il ressort d’un fourré, queue en l’air, joyeux. Soulagement, nous pouvons partir. C’était exactement pour éviter ça, le collier GPS.

Achat d’un chapeau de paille à Crişeni

Direction les Carpates. Mais pas sans quelques arrêts. À Crişeni, chez notre apôtre de paille. Je ne supporte plus le vieux bob délavé de Pierre, il a accepté que je lui offre un couvre-chef en paille. Le choix est vite fait, la boutique est minuscule.

Quand nous rentrons au camping-car, Capucine est en train de nettoyer l’évier rempli d’éclats de verre. Elle a ouvert un placard, un pot en est tombé, et a brisé la plaque de verre qui referme l’évier. Il y a des éclats partout, elle a eu la bonne réaction, balayé les banquettes et le sol d’abord, demandé à Solène de ne pas bouger, utilisé le sac de croquettes vide pour le remplir des éclats. L’incident est déjà presque réparé. Nous n’avons plus rien pour refermer l’évier.

Sighişoara l’été

Prochain arrêt Sighişoara. Nous avons envie de revoir la belle ville médiévale dans une ambiance estivale et normale. En 2020, nous l’avions visité le premier jour du déconfinement en Roumanie. Les rues étaient désertes et tout était fermé. Quand nous y arrivons, un orage gronde et déverse déjà des trombes d’eau plus loin dans les montagnes. On y va ? On y va pas ? On y va évidemment. L’ orage semble loin, je me dit qu’on a du temps, et qu’un peu de fraîcheur sera bienvenue. Cinq minutes de marche plus tard, quelques grosses gouttes. Juste le temps d’arriver au pied de la citadelle et le ciel nous tombe sur la tête. Nous nous réfugions dans un petit café branché, c’est parfait, et délicieux. L’orage est vite passé, à nous la vieille ville, ses pavés usés, sa tour de l’horloge, ses maisons colorées et ses places… animées ! Une agréable fréquentation touristique. Des boutiques ouvertes qui font déborder leurs babioles. Des roulottes odorantes qui font cuire Lángos et Kürtőskalács. Nous déambulons, retrouvons l’escalier des écoliers et son musicien. Trouvons une belle boutique d’artisanat local, bonheur. En 2020, à Sibiu nous avions été très déçus de ne pas pouvoir acheter quelques assiettes et tasses traditionnelles dans une des rares boutiques ouvertes, mais qui ne prenait pas notre carte bancaire… Nous nous rattrapons avec délectation.

La Roumanie saxonne

Reprise de la route, nous traversons la Roumanie saxonne avec plusieurs très beaux villages qui se suivent. Maisons colorées, façades à frontons, larges trottoirs enherbés et toujours, une église fortifiée au centre. Il en existe une centaine dans cette région, dont Sighişoara et Vişcri que nous avions visité il y a deux ans. À partir du XIIème siècle, des allemands, appelés “saxons”, se sont installés ici, dans cette partie de la Transylvanie aux collines douces et fertiles. Ils sont venus à la demande des Rois de Hongrie, soucieux de peupler cette partie du royaume et de contrer les invasions des turcs et des tatars. À cause de ces invasions, chaque communauté a bâti autour de l’église une forteresse où, en cas de siège, toutes les familles avaient leurs réserves stockées dans des celliers privés ou des espaces collectifs pour les salaisons, la farine,…

Et puis une barre montagneuse s’impose à l’horizon. Je ne pensais pas qu’il y avait une si franche rupture entre les collines de Transylvanie et la chaîne des Carpates, si haute, si imposante. Devant nous, le massif de Făgăraș, d’où le nom de cette route, la Transfăgărăşan.

Transfăgărăşan, « La folie de Ceausescu »

La route Transfăgărăşan a été construite entre 1970 et 1974 sous les ordres de Ceaușescu qui voulait assurer une route stratégique à travers les montagnes, en réponse à l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS en 1968. Ceausescu voulait assurer la possibilité d’une intervention militaire à travers les Carpates dans le cas où l’URSS tenterait une opération en Roumanie. À cette époque, la Roumanie disposait déjà de plusieurs axes routiers traversant le sud du massif. Feri nous expliquait que Ceaușescu voulait surtout construire une route qui dépassait la Transalpina, qui était alors la plus haute route de Roumanie érigée par le Roi Carol II.

La Transfăgărășan a été réalisée avec des moyens matériels considérables et en 4 ans, un chantier digne des travaux d’Hercule : 80 kilomètres de route, 830 ponts, 27 viaducs et un barrage. Elle a été construite également au prix de nombreuses vies humaines. Officiellement 40 morts, mais les ouvriers et les soldats qui ont œuvré sur ce chantier parlent de centaines de vies perdues.

Cette route, nous la découvrirons demain. Ce soir, nous spotons sur le parking d’un petit musée dans le village de Cârțișoara, au pied des Carpates. Nous aimons bien les spots en plein village, ici nous sommes face à l’épicerie et pouvons observer les allées et venues des gens. À 22h la boutique ferme. Mais un groupe s’est installé sur des marches à proximité et partage une bière en parlant fort. Fenêtres refermées, boules quiès, nous dormirons finalement bien, nous sommes suffisamment fatigués.

À l’assaut ! Ascension de la Transfăgărăşan

Il est 8h, j’active tout le monde. J’ai lu que les parkings au sommet sont pris d’assaut, il nous faut arriver suffisamment tôt pour garer notre gros Émile-Pat’.

Il n’y a qu’une heure de route pour arriver tout en haut, si l’on ne s’arrête pas à tous les points de vue. Traverser le massif forestier d’abord, puis arriver dans cette fameuse haute vallée ou le ruban de bitume serpente d’une manière si esthétique. Hop, une belle place dans un virage. Nous sommes arrivés. Le temps de préparer les sacs de randonnée, Basile a filé dans la pente qui descend à la rivière. Il a l’air très heureux là, à explorer les cailloux et chasser les sauterelles. Nous serions bien partis randonner avec lui, mais je crains qu’il y ait du monde, il est mieux là. C’est tellement pentu que personne ne viendra l’embêter. Et il a l’habitude de se planquer sous l’habitacle si besoin. Il a son collier, nous le laissons, sereins.

Lac Bâlea

J’ai repéré une boucle à faire, 3 km, et 2h de marche est-il annoncé. La pente sera rude j’imagine. Mais les filles aiment escalader, je sais qu’elles avancent mieux quand ça monte raide. Pour rejoindre le sentier, il faut d’abord traverser la tout aussi mythique allée de boutiques de bouffe, maïs grillé, mamaliga, saucissons, fromages fumés et autres choses non identifiées. L’ambiance, les odeurs, le bruit,… Tout se bazar est très sympathique mais nous résistons, nous avons une montagne à gravir.

L’ascension sera facile, 800 mètres de pente raide avalés d’un coup. En haut, la vallée d’à côté s’offre à nous, vierge et immense. L’un des pics autour de nous est le mont Moldoveanu, le point culminant du pays avec 2034 m d’altitude. Mais à cet endroit le balisage file tout droit vers l’ouest, alors que le chemin que j’avais repéré devait bifurquer vers l’est. Nous tentons de suivre des traces de chèvres, mais la pluie s’invite. En haute montagne, avec des enfants, des pentes raides, sous la pluie et sans balisage, ça commence à faire trop de risques. Nous resterons sur notre petit col à regarder quelques marmottes avant de rebrousser chemin. Déception.

Mais nous retrouvons nos vendeurs aux bonnes odeurs. Satisfaction. Puis nous retrouvons bien Basile dans son pierrier, content de nous revoir il daigne nous rejoindre. Un repas au chaud chez nous. Nous avons quelques maïs grillés, deux bouts de saucisse sèche fumé, porc et mouton. Un collier de bretzels. Deux mystérieuses boules de purée de maïs grillée au barbecue qui sont en fait remplies de fromage fondu. Gourmandise. Et ce pot de “Serbet” multicolore que Solène a insisté pour essayer, n’est pas du tout du sorbet aux fruits, mais un mélange de sucre glace avec différents sirops de couleurs. Comment peut-on faire pour manger quelque chose d’aussi sucré ?…

Un second petit tour des lieux pour voir de plus près le joli lac Baléa et d’autres points de vue sur la route, il y a du monde partout. À côté des chalets, d’énormes troncs d’arbres ont été livrés et sont débités pour préparer d’énormes stocks de bois de chauffage. Stocks presque aussi gros que les chalets eux-mêmes.

Lac Capra

Cinq minutes de route, nous traversons le tunnel et sommes de l’autre côté de la montagne. J’y ai repéré un autre chemin assez court, 2 kilomètres de montée jusqu’au lac des chèvres. Je tente de motiver ma troupe, mais pour une fois, c’est Lison qui grogne. Le chemin est étroit et raide et je dois me rendre à l’évidence, c’est encore trop difficile pour une petite Solène et une Lison ronchon. Surtout qu’il est bientôt 17h, ce n’est pas raisonnable. Deuxième demi-tour pour moi. Deuxième déception. Heureusement Pierre et Capucine poursuivent d’un pas qui sera plus rapide. Heureusement le paysage est splendide.

Capucine : “Nous quittons les filles et nous continuons la marche à une vitesse plus rapide. Plus on monte, plus le paysage est magnifique. Le chemin est très pentu mais nous avons seulement 2 km de marche. Arrivés en haut de la montagne, le lac était grandiose, la randonnée en valait le coup. Un rayon de soleil s’est étendu sur l’eau, tandis qu’avec papa, on s’installe dans l’herbe pour grignoter des gâteaux. Puis papa va remplir la gourde avec l’eau de la source et on repart. La descente est beaucoup plus rapide et plus facile, et nous arrivons rapidement au camping car. “

Nous redescendons doucement et nous nous chargerons de la corvée d’eau, il y a une fontaine juste en dessous. Lison m’aide, nous passons du temps à remplir les 120 litres de notre cuve avec un petit seau de 10 litres, qu’importe, l’endroit est beau et je surveille la montagne pour voir redescendre mes précieux co-équipers. Je discute avec les dizaines de personnes qui viennent remplir leur petite bouteille. Polonais, espagnols, italiens,… Là-haut, je vois le duo redescendre. Un coucou. Je suis contente pour eux.

Un spot un peu plus bas, un troupeau de brebis nous traverse. Lison attrape le chat pour qu’il ne s’enfuit pas. Ils sont drôles sur leur cailloux, les bêtes passant devant, derrière, prenant leur temps. Dans les bras de Lison, Basile ne bouge pas.

Les routes mytiques de montagne

Passer un col routier en camping-car n’est pas toujours de toute sérenité. Nous nous posons toujours les questions : “Est-ce que ça va passer ?”, “Ne suis-je pas trop large ?”, “Les tunnels ne sont pas trop bas ?”, … C’est passé pour le Stelvio en Italie, le col du Grand Saint-Bernard dans les Alpes et le col Aubisque/Soulor dans les Pyrénées. Pour la Transfagarasan, finalement, la question de la conduite ne se pose pas car c’est une route récente des années 1970 prévue pour faire passer des chars, c’est large !

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