Mercredi 22 janvier 2020. J206. Les jours se suivent et se ressemblent. Routine familiale, découvertes culturelles et naturelles. Mais ce jour-là a une saveur unique. Aujourd’hui, si nos calculs sont bons, nous passons le cap de la moitié de notre voyage. Que maintenant ? Et oui. Nous avons l’impression d’avoir parcouru déjà tout un monde, et en réalité, il nous en reste autant devant nous. Nous sommes heureux. Heureux de ce que nous avons déjà découvert. Heureux de ce que nous avons encore à vivre. Heureux qu’il nous reste encore autant de temps devant nous. Et heureux de ce voyage magique.
Fort St Nicolas, bouche de Šibenik
Encore un réveil dans un très bel endroit. Sous la pinède. Face à la mer. À côté d’un minuscule port de plaisance. Et devant un énorme fort. Le fort Saint Nicolas contrôlait l’entrée du canal qui relie l’embouchure de la rivière Keurka et la ville de Šibenik à la mer Adriatique. Construit par les vénitiens, il fut destiné à protéger la ville des invasions turques. Son aspect imposant l’a rendu suffisamment dissuasif pour qu’il n’ait jamais eu à subir d’assaut. Construit 1525, il est resté intact. Ce qui est amusant, c’est que l’on peut s’y rendre à pied même s’il est situé sur une île, au milieu du canal. Une passerelle en bois rejoint une première île, puis un chemin de pierres sèches traverse un second bras de mer et amène au fort. Les croates semblent aimer particulièrement les passerelles en bois et ça tombe bien, nous aussi !
La balade de ce matin est donc toute trouvée. Mais si elle s’annonçait chouette, elle ne le fut finalement pas tant que ça. L’accès au fort est interdit, parce que l’entrée se trouve côté mer, et parce que l’arrière sert de dépotoir aux travaux de rénovation en cours. Moche. Vu du ciel, ça devrait être plus joli. Mais ce matin, le drone ne veut pas décoller. Il a trop froid me dit-il. Il a raison, mon aussi. Filons ailleurs.
Ville de Split
Direction Split. En y arrivant, nous sommes surpris de voir que la ville est si grande. C’est la deuxième ville croate, 167 000 habitants. Et se garer semble compliqué. Il n’y a vraisemblablement pas de bus urbain, ou très peu, donc nous ne pouvons pas nous stationner loin et prendre le bus. Et surtout, en conséquence, la ville est envahie de voitures. Partout il y a des parkings. Partout ils sont pleins. Partout les voitures sont garées n’ importe comment, sur les trottoirs… Nous avons bien failli passer notre chemin. Mais coup de bol, nous avons trouvé un parking un peu plus large que les autres, en attendant un peu, nous avons trouvé une place correcte. Et à dix minutes du centre ville. Sauvés.
Le centre historique de Split, est ancien, rénové, et vraiment très agréable. Une large promenade se déroule en bord de mer où l’on peut observer les bateaux partir pour les îles. Les façades du front de mer nous interpellent immédiatement. Un mélange de style romain, avec des frontons triangulaires, vénitien, des courbes qui se rejoignent en pointe. Dans l’ancienne muraille, une petite arche. Un sous-sol sombre voûté, alignant deux rangées de vendeurs de babioles. La zone touristique est ici, traversons. Nous avons l’impression de revenir dans un temps ancien. De l’autre côté, nous reconnaissons ce qu’il reste du palais Dioclétien. À partir de là, la ville nous livre son histoire.
L’empereur mégalo
En l’an 300, l’empereur romain, Dioclétien, prévient qu’il abdiquera et qu’il retournera vivre dans sa terre natale. Il était originaire de Salone, la capitale romaine de la Province de Dalmatie qui se situe à quelques kilomètres de Split. Pour sa retraite, il fit donc construire à Split un palais gigantesque, au bord de la mer. À l’intérieur de remparts, il fait construire des thermes, une bibliothèque, une caserne,… L’endroit doit devenir un lieu de vie pour les habitants de Salone.
Complètement mégalomane, il a édifié en son honneur un mausolée et un temple de Jupiter. Pourquoi Jupiter ? Parce qu’il se considérait être l’incarnation de Jupiter, le Dieu qui est au-dessus de tout. Le nom de «Jupiter » signifie littéralement : «maître du jour lumineux». Mais il est plus que cela, maître de la foudre et de l’orage, dieu des summa, de ce qu’il y a de plus haut. Dioclétien crée une notion de monarchie divine et pour en convaincre ses sujets, son palais, son mausolée, son temple est ouvert aux habitants. Un cérémonial impressionnant entoure et ses apparitions sur le terre-plein formé par l’espace entre son mausolée et son temple. Il crée un caractère sacré au pouvoir. Lors de cérémonies à Jupiter, il apparaît en majesté, couronné d’un diadème, revêtu d’un manteau brodé de pierreries et exige le rite de l’adoration, qui consiste à baiser le bas de son manteau impérial…
Après sa mort, en 313, les membres de la famille de Dioclétien seront chassés et le palais ne sera plus qu’une lointaine possession impériale. Il est alors pillé et abandonné.
Au 5ème siècle, lors des incursions barbares, les habitants de Salone viendront s’y réfugier. Et y resteront. Les anciens appartements royaux sont divisés en logements, le mausolée en église et le temple en baptistère. Leur ancienne ville devient leur carrière, prenant ça et là des éléments de décor. Par exemple, le baptistère est composé de dalles qui à l’origine devaient être des morceaux d’une église de Salone. Les habitants ont alors choisi de ne pas décorer le baptistère avec une scène chrétienne, mais avec une représentation politique. Le bas-reliefs représente le roi croate Dimitri Zvonimir, un roi qui représente l’apogée du royaume croate qui a duré du 9e siècle à la fin du 11e. C’était une période d’indépendance, de paix et de prospérité. Une période très importante, car elle marque le début d’une conscience d’identité nationale. Zvonimir meurt sans héritier, ce qui provoquera une période de troubles qui bénéficiera aux Hongrois qui récupéreront le pouvoir en Croatie. S’en sera fini de l’indépendance du pays. Dès lors, Dimitri Zvonimir apparaitra comme le roi symbolisant la liberté, l’indépendance et la fierté nationale.
La période vénitienne du 15 ème au 18 ème siècle est très favorable à la cité qui devient un des principaux ports de la région. Les monuments principaux sont restaurés. La région fut ensuite occupée par Napoléon avant de passer aux mains des Habsbourg. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la ville est intégrée au royaume de Yougoslavie. Après la Seconde Guerre mondiale, la ville devient un grand centre industriel. Ce n’est que récemment que le tourisme s’y est développé. La vieille ville au cœur du palais est toujours habitée.
Le développement touristique entraîne l’expulsion des habitants. Mais les habitants de Split résistent, ils ne veulent pas de ce qui s’est passé à Dubrovnik qui a été restaurée, et qui s’est vidée en partie de ses habitants. Split se targue d’avoir gardé son âme. Elle n’est pas et ne se veut pas être une ville-musée : c’est une ville vivante occupant des lieux anciens, des constructions anarchiques, des ruelles surajoutées au plan initial. Ce qui est loin d’être sans charme.
L’histoire de Split nous a passionnés. Et ouvert l’appétit. Ça tombe bien, il est quatre heures et si l’on se dépêche de trouver un graillou, on pourra le manger sur la Riva en regardant le soleil se coucher. Cinq bureks en poche, un banc, mission accomplie. Les couchers de soleil sont tous les jours splendides en Croatie.
Retour à l’Emile-Pat, un camion-grue s’apprête à soulever une voiture garée sur le trottoir. Quel spectacle pour les filles ! Décidément, se stationner à Split est toute une aventure, pas que pour nous… Nous prenons la route en direction du spot de ce soir, sur un minuscule parking de plage. La vue sera certainement géniale demain matin mais ce soir, nous entendons trop la circulation de la route. Tant pis. Ça se calmera cette nuit.
Laisser un commentaire