Mercredi 11 mars 2020. J244. Sofia, Bulgarie. Réveil sec. Le linge est sec. Et nous sommes secs nous aussi. Le chauffage fonctionne parfaitement et a bien desséché tout le monde pendant toute la nuit. Heureusement, la corvée est faite, je peux remballer mes étendages pour pouvoir déjeuner.
Pas école ce matin, nous voulons passer toute la journée en ville, voir beaucoup de choses et profiter. Les enfants démarrent toujours à leur rythme, incroyablement lents, et à dix heures, nous sommes dans le beau métro de Sofia. Au programme, la tournée des cathédrales et le musée d’archéologie. Le centre historique semble assez petit.
“Le mur de Berlin est tombé, le monument de l’occupant demeure !”
Nous commençons par le point le plus à l’est, ce “monument à l’armée rouge libératrice” réputé pour avoir été détourné par des artistes. Les sculptures d’hommes en armes et de peuple heureux, typiquement soviétiques, avait été repeintes aux couleurs de personnages américains : superman, Ronald Macdonald, Hulk, le Père Noël,… Le genre de pied de nez que nous aimons. Aujourd’hui, tout est impeccablement nettoyé, tellement dommage. Le régime communiste en Bulgarie dura entre 1944 et 1989. Il fut instauré dans la violence et avec l’appui actif de l’URSS. Avec ce monument, et d’autres dans le pays, le rappel du passé de satellite soviétique est encore bien visible aujourd’hui. Et comme pour souligner cette magnificence, le monument est placé au milieu d’une vaste esplanade dallée. Non, vous n’êtes pas en Corée du Nord mais à Sofia, Bulgarie, Union Européenne. Le passage à la démocratie fut un virage bien négocié de la nomenclatura communiste, toujours fermement au pouvoir à travers ses réseaux, ses agents fidèles et ses usages, bientôt 30 ans après la chute du régime.
Depuis 1993, plusieurs tentatives de suppression ou de déplacement du monument ont échoué.
En effet, à l’époque, la Bulgarie n’avait pas déclaré la guerre à l’URSS ni rompu ses relations diplomatiques. Elle faisait partie alors de l’axe, avec Rome, Berlin et Tokyo. Plus encore, les troupes allemandes qui stationnaient en Bulgarie furent contraintes par le gouvernement bulgare à quitter le pays avant le 31 août 1944. C’est bien l’URSS qui déclara unilatéralement la guerre à la Bulgarie et entra sur son territoire le 05 septembre 1944. Le comité de citoyens organisa des manifestations devant le monument sous le slogan : “Le mur de Berlin est tombé, le monument de l’occupant demeure !” Toute idée de démontage rencontre aussitôt la ferme opposition de l’ambassade russe, très vigilante sur le respect de ses mémoriaux de guerre à l’étranger.
Pop-art sur statues soviétiques à Sofia
En 2011, un ou des artistes inconnus à ce jour ont peint toutes les figures d’un des panneaux figuratifs à l’effigie de super-héros américains. Coup de tonnerre dans les esprits pro-russes et vent frais pour les esprits libertaires contre cette opération qualifiée de “pop-art”. Depuis, le monument a connu d’autres moments de détournement avec des masques d’anomynous, des bonnets de Pussy Riot, des drapeaux bulgares, ukrainiens, tchèques, polonais,… L’œuvre communiste est devenue un espace de revendications pour le respect des hommes et la liberté.
La Cathédrale de la libération
Sans transition, nous arrivons à la cathédrale Alexandre Nevski, à l’architecture et à la beauté emblématique, le plus grand temple orthodoxe du pays. Il commémore la libération de la Bulgarie de l’Empire ottoman par la Russie, la vraie libération, celle de 1878 à l’issue de la guerre russo-turque. Alexandre Nevski était le saint patron de l’empereur russe Alexandre II et le choix de cette nomination était une expression de reconnaissance des Bulgares à l’égard de la Russie. Le bâtiment a été construit en 1882 et 1913.
On les voit de loin les coupoles dorées et cuivrées de l’imposante structure. Le style est néo-byzantin. À l’intérieur, le changement est brutal. Des couleurs et de la brillance de l’extérieur il ne reste rien. Les fresques sont sombres, peu éclairées et tellement hautes. Les volumes sont énormes. L’ornementation intérieur est très riche, de matériaux très chers et haut de gamme ont été utilisés… mais on ne voit rien tellement l’endroit est sombre. Marbres italiens, marocains et allemands, de l’onyx brésilien, de l’albâtre indien. Les luminaires sont fabriqués à Munich. Le sol est recouvert de mosaïques de marbre multicolore de Venise. L’iconostase est peinte par de grands noms de la peinture. Nous passons vite, nous avons plein d’églises à voir dans Sofia.
Sainte Sophie, qui donna son nom à la ville
À côté d’Alexandre Nevski, Sainte Sophie est plus petite, cachée derrière la végétation et toute en briquette rose. Plus humble. Et tellement plus belle à notre goût. Elle date des toutes premières heures de la chrétienté. Construite au 4ème siècle sous le règne de Constantin 1er. Ses fresques intérieures n’ont pas survécu au temps, et aux plusieurs tremblements de terre qu’elle a subi, laissant apparaître aujourd’hui toute sa structure de briques anciennes. Impressionnant et tellement beau. Son nom initial était Sagesse divine, c’est l’usage qui en a transformé la prononciation en Sainte Sophie.
Le marché aux icônes
En ressortant de l’église, nous tombons sur un petit marché aux icônes. C’est très joli de voir toutes ces peintures dorées et colorées juxtaposées. Nous flânons, Lison tombe en émoi devant une icône de la Sainte Famille. “C’est fou, d’habitude on ne voit jamais Joseph avec Jésus et Marie !” Après avoir fait le tour du marché, elle nous en parle encore et souhaite se l’acheter. Quand nous lui donnons notre accord, elle saute de joie. Et le vendeur aussi visiblement. Très souriant, il nous fait un petit certificat d’authenticité. L’icône est peinte à la main et reproduit une œuvre originale qui se situe dans le monastère de Rozhen.
Pas de restaurant en vue, mais une église
Après Sainte Sophie et son petit marché aux icônes, voilà l’église russe et ses belles coupoles pointues. À l’intérieur, rien de différent, une petite église orthodoxe où un prêtre est en train de réciter des prières. Mais au bout de la troisième église visitée, les filles commencent à tirer la patte. Il est temps de trouver un restaurant. Nous sommes arrivés dans le quartier du gouvernement, avec ses grands boulevards que l’on traverse par des passages souterrains. Et pas de restaurant en vue. Mais pas du tout. Nous sommes au cœur de la ville et il n’y a vraiment pas beaucoup de monde, c’est bizarre. Si l’on passe le portique d’entrée du palais du gouvernement, on trouve… une église encore, engoncée entre les quatre ailes du bâtiment. La Rotonde de Saint Georges est un vestige de l’époque romaine. Nous y entrons, les filles font la tête. Il n’y a pas de restaurant par là. Poursuivons nos recherches.
Les vestiges romains
De l’autre côté de la rue, une zone archéologique, au centre de la chaussée, proprement restaurée et mise en valeur. Les vestiges de Serdica, la Sofia romaine. Des zones comme ça, il y en a plusieurs, parfois même dans les passages souterrains et les stations de métro. C’est très amusant de voir l’imbrication des pierres de l’époque romaine avec les aménagements d’aujourd’hui. Nous en faisons le tour, mais pas de restaurant en vue. Les filles font vraiment la tête.
Une autre église cachée
Pourquoi les gens descendent si nombreux par ce petit escalier au milieu des ruines romaines ? Nous les suivons, curieux. Nous arrivons dans une minuscule crypte dans laquelle l’on vend bougies et icônes. Les gens se faufilent dans un étroit couloir, montent un escalier en colimaçon. Nous suivons. Une église est au bout de l’escalier, une minuscule église orthodoxe où un prêtre en habits de lumière prépare quelque chose. Nous restons là un moment, observant de drôle d’endroit. Les filles désespèrent.
À côté d’une nouvelle zone de vestiges romains, “Mi Casa”, un petit restaurant italien. Mince, nous aurions préféré découvrir la gastronomie bulgare mais là, je crois l’on n’a pas vraiment le choix. L’endroit est coquet, très agréable, va pour le risotto !
Au programme de l’après-midi, la mosquée ! Oui, oui, les filles ont mangé, nous pouvons les emmener partout. La mosquée de Sofia est placée en plein centre ville, en face de la synagogue, au croisement de deux boulevards que les Bulgares aiment appeler “le carrefour de la tolérance”. Sauf qu’aujourd’hui, pas de visite possible. Alors pas de mosquée. Il est 14h, profitons-en pour visiter le musée d’archéologie que nous avions prévu de faire demain. Lui aussi est exceptionnellement fermé, même demain. Nous sommes tous très déçus. Allez, il nous reste encore des trucs à explorer.
Le marché aux femmes
Le marché aux femmes, par exemple. À ces mots, Lison est outrée. Elle s’imagine un endroit où l’on vend des femmes. Non, le marché aux femmes de Sofia est un bazar tenu essentiellement par des femmes. Nous y trouvons quelques fruits et légumes à des prix imbattables. 1,50€ le kilo de fraises. 0,80 € le kilo de kiwi. Et contrairement au quartier du gouvernement, ici ça grouille tranquillement. Il n’y a pas un monde fou, mais de l’animation. La vie en ville. Le marché est un peu crade, quelques vieux qui toussent, quelques tas de cageots et fruits trop mûrs traînent. Capucine n’aime pas ça, elle n’aime pas les lieux sales et pauvres. “Pourrait-on trouver des boutiques chouettes, des trucs d’artistes, de créateurs,…” Une recherche Google, nous trouvons plusieurs adresses et nous nous faisons notre petit itinéraire. À nous la Sofia jeune et branchée. Pierre aime subitement beaucoup moins.
Shop-victims
Pour naviguer dans la ville, nous avons pris un passe-journée métro-tram illimité pour 2€ par personne. Nous nous faisons donc un plaisir de monter dans les tramway plus ou moins vieux, pour certains très vieux. En quelques minutes, nous pointons donc nos nez de nanas dans plusieurs boutiques de créateurs. La spécialité ici, la porcelaine moderne. Nous croisons plusieurs ateliers à même la rue. Capucine adore. Lison commence à traîner la patte. “J’en ai marre de marcher… – Veux-tu que l’on aille faire une pause aux jeux d’enfant ?” nous lui proposons. Elle en avait marre de marcher mais pour aller aux jeux d’enfants, elle court. Et puis nous profitons encore des quartiers jeunes et branchés autour du palais de la culture. Les restaurants sont ici, de part et d’autre d’une longue avenue piétonne qui avance droit vers le mont Vitosha enneigé. Un goûter sucré dans un salon de thé, quelques boutiques encore pour trouver quelques cadeaux pour les quelques anniversaires qui arrivent. Jusqu’à la nuit, nous explorons Sofia et ses différentes facettes. Retour à la maison en métro, simple et rapide. Nous sommes exténués.
Un événement se prépare
Une fois Lison couchée cachée derrière ses rideaux, Capucine et moi nous préparons notre surprise pour demain. Une carte, nos petits achats, un gros ballon en forme de 8, une guirlande “Happy Birthday” et un fromage. Demain, Lison aura 8 ans.
Épilogue. Dans les jours qui suivirent, nous apprendrons que le pays a pris toutes les dispositions pour l’épidémie de coronavirus. Cela explique la fermeture du musée et le relatif peu de monde dans les rues. Deux jours plus tard, les commerces non alimentaires seront fermés, et le passage de frontière soumis au test de température.
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