Mardi 24 septembre 2019. J85. Londres, restaurant Gauthier-Soho. S’aventurer, vraiment. Et kiffer, vraiment. L’expérience est cocasse pour moi. À vrai dire, quand Gérard nous l’a proposé, je me suis sentie bousculée dans mes valeurs. Explications.

Questionnements

D’un côté, Gérard et son associé Alexis ont toujours eu une cuisine qui travaille et met en valeur les légumes. Depuis l’ouverture du restaurant, ils proposent un menu végétarien. Poussés dans leurs questionnements personnels, et par une clientèle de plus en plus demandeuse, ils sont allés plus loin dans leur démarche. Il y a trois ans le chef Alexis est devenu vegan. Ils ont abandonné le foie gras pour proposer un « faux gras ». Et ils ont relevé le défi d’une cuisine gastronomique, de tradition française, strictement végétale, de l’entrée au dessert. Sans viande, sans poisson, sans fruits de mer, sans fromage, sans œufs, sans beurre, sans miel… À Londres, ils ont été les premiers à investir ce créneau et ont été largement reconnus pour cela.

D’un autre côté, sincèrement, le veganisme, je n’adhère pas. Je défends profondément l’élevage et les relations hommes-animaux respectueuses. C’est un sujet qui me tient à cœur et qui fait partie des sujets essentiels sur lesquels je travaillais avant ce voyage. Je suis chargée de relations presse pour les éleveurs aveyronnais. Avec eux, nous avons essayé de comprendre les attaques anti-élevages et ce qu’elles portaient comme message. S’il s’agit de se préoccuper de la bien-traitance des animaux d’élevage, nous sommes tous d’accord. Le respect des animaux ne pose pas débat. S’il s’agit d’abolir toute forme d’élevage pour sauver la planète et l’humanité, comme le prônent certains extrémistes, là nous ne sommes pas d’accord. Et nous avons de multiples raisons d’en être convaincus.

Mais il ne s’agit pas de faire le débat ici. Je voulais juste vous donner une idée de la tempête qui s’est installée dans mon cerveau à la perspective d’être invitée dans LE restaurant gastronomique vegan en vogue de la capitale britannique. Y manger est-ce cautionner l’idéologie ? Pouvais-je décliner une si belle invitation ? Allais-je apprécier cette cuisine ? Mince, aller dans un gastronomique et renoncer à la Saint Jacques, au cerf, au porc confit, au filet de loup,… Quel dommage ! Et si les serveurs étaient vegans et nous faisaient sentir coupables ? Et si le débat s’ouvrait avec les clients ? Voilà les questions qui ont occupé mon esprit la nuit dernière. Une femme se pose toujours bien trop de questions. Donc après mûre réflexion, j’ai décidé de tenter l’aventure. La réalité de l’Europe aujourd’hui est que cette tendance culinaire, et parfois aussi ce style de vie vegan, se développe. Rares sont les  restaurants, même les snacks, qui n’ont pas un menu vegan ici. Le nier serait refuser de voir la réalité en face. Nous avons choisi de découvrir l’Europe, nous devons la regarder telle qu’elle est. Si notre aventure nous y amène, nous devons savoir l’apprécier. Et puis la gourmande que je suis est sincèrement curieuse de voir comment l’on ne cuisine qu’avec des légumes.

La soirée chez Gauthier-Soho

Londres, quartier Soho, fin de journée. Nous voilà plongés dans l’ambiance cosmopolite de la capitale. Le melting-pot londonien nous saute aux yeux. Nous croisons en l’espace de quelques pas : des personnes en tenues de soirée, d’autres déguisés, une sono qui braille des prières arabes, un carillon suisse, oui, un carillon avec des tas de cloches et des figurines de vaches qui tournent autour, et juste après une autre sono de techno. Ambiance. Nous traversons China Town et ses canards laqués pendus en vitrine. Et au détour d’une petite rue, nous trouvons la façade sobre et chic de « Gauthier ».

Nous sonnons à la porte. De jeunes serveurs nous accueillent. Ils nous attendaient. Nous sommes installés dans un petit salon avec des roses rouges sur les tables. En face de moi, une cliente porte un chemisier bardé de strass étincelants. Nous, nous avons eu du mal à assembler quelques affaires qui peuvent paraître un peu chic dans nos garde-robe d’aventuriers… Ma petite robe noire me semble bien juste en terme de standing. Champagne. La classe. Et faux-gras. Une carte décrit la démarche de restaurant qui a supprimé tout foie gras de sa carte. Ce qu’ils appellent faux-gras est une terrine de légumes, lentilles, betteraves,… présentée à la manière d’une terrine de foie gras. Délicieuse. Deux menus, vegan ou traditionnel. Je choisis l’aventure. Pierre choisit la tradition. Un premier plat, tartare de carotte. Deux carottes fanes passent devant nous dans un hachoir à viande. Le ton est donné.

Parmi la multitude de petits plats délicieux, deux marquent particulièrement mes papilles et ma mémoire.

Des tortellini au « parmesan vegan ». À chaque plat je demande au serveur quel est le tour de passe-passe. Ici, le faux parmesan est un mélange de purée de noix de cajou fermentées et oignons. Et la pâte à tortellini habituellement aux œufs ? Une recette au blé mais réalisée à la manière des raviolis chinois. Le tout arrosé d’un bouillon de champignons. Un vrai délice.

Un vacherin. Meringue framboise, glace mojito et fruits. La meringue ? Réalisée sans blancs d’œufs mais avec du jus de pois chiches. Incroyable. Ça fond sur la langue. Un régal.

Le reste de mon repas sera légumes, légumes racines, champignons, châtaignes, financier abricot-chocolat, biscuits sans œufs mais avec  coco, opaline de sucre et sorbet framboise, hummm… À côté de moi, Pierre déguste une Saint Jacques, du cerf, du porc confit, du loup,… À chaque fois, nous nous faisons goûter mutuellement. Ses plats sont sublimes. À comparer les deux, le menu traditionnel reste tout de même plus appétant.

Notre serveur aura gardé tout le repas la patience de nous expliquer chaque plat. Gérard lui avait parlé de notre voyage. Lui aussi aime les roadtrip. Nous échangeons deux mots et un magnet. Nous avons passé une délicieuse soirée.