Vendredi 13 mars 2020. J246. Lakatnik, Bulgarie. Ogy, le prénom de notre guide nous amuse beaucoup. Oggy et les cafards est le titre d’un dessin animé que Pierre aime malicieusement. Et voilà qu’en Bulgarie, un spéléologue dénommé Ogy va emmener Pierre et ses nenettes explorer les profondeurs sombres et humides des grottes qu’il aime. Tellement amusant.
La préparation est rapide ce matin, pour une fois, et nous rencontrons Ogy au point de rendez-vous donné. Salutations. Équipement. Ogy et ses trois cafards partent explorer les bas-fonds de la Bulgarie. Solène et moi restons toutes les deux. Pique-nique. Baskets. Nous aussi nous allons gravir les falaises de Lakatnik et nous attendrons nos cafards tout en haut.
Exploration de la cascade souterraine
Nous montons le chemin qui nous mène au pied des falaises, et pénétrons la grande bouche d’une première grotte. Imperméables, lampes frontales, casques et c’est parti. Nous suivons Ogy dans une première entrée. “Les spéléologues se retournent régulièrement pour voir le point de vue dans l’autre sens et les aider à s’orienter quand ils cherchent le chemin du retour à la surface” nous dit-il. Nous nous arrêtons vite car les premières flaques d’eau ont un niveau élevé selon Ogy, nous allons tenter une autre entrée.
A ce moment là j’ai plus l’impression de faire du cirque, funambule, plutôt que l’exploration d’une grotte. Ou bien ressemblons nous à des petits cafards qui se promènent dans le noir, le long des tuyauteries.
Au bout de la conduite d’eau, nous nous trouvons devant une rivière qui se déverse dans les profondeurs de la grotte en une cascade assourdissante. Ogy nous expliquera plus tard qu’il s’agit du captage de l’eau potable pour le village de Lakatnik, branché directement sur la cascade souterraine.
Devant ce tuyau qui disparaît tout droit dans le noir, les yeux interrogateurs de Capucine me demandent si on va continuer sur le conduit et traverser la cascade. “On va traverser ? Moi je n’y vais pas – Je n’en sais rien, on suit Ogy”. Effectivement il y a une ligne de vie accrochée à la paroi sur nos têtes, mais non, Ogy est un spéléologue expérimenté, il sait bien qu’aller plus loin avec deux enfants et un adulte avec une lampe frontale qui n’éclaire pas à cinquante centimètres n’est pas raisonnable.
Soulagement de Capucine, nous faisons demi-tour et allons explorer un autre boyau qui nous mènera à la chambre puis au four. Ce passage est nommé la chambre car le sol moelleux est en sable, et c’est ici que les spéléologues dorment quand ils passent deux jours à explorer les quatre étages de la grotte. Le four est un large boyau mais très bas, en forme de four à pain donc. Ogy nous explique qu’en rampant pendant 15 minutes on atteint une très grande cavité plus haute. Plus tard nous nous asseyons et éteignons les lampes pour écouter les bruits d’eau. En sortant de la grotte nous croisons un jeune couple en tenue décontractée.
La grotte des spéléologues
Ogy nous amène devant l’entrée d’une deuxième grotte. “Ici c’est une grotte de spéléologue, ce n’est pas pour les touristes”. Il nous explique qu’il l’aime bien celle là. Même si elle plus petite, elle est plus intéressante, le parcours est varié et l’on y voit plus de choses. Allons donc voir.
Quelques flaques à éviter, le chemin se rétrécit un peu et nous voilà à présent serrés, une paroi rocheuse de chaque côté. Les enfants passent encore, les adultes doivent monter sur la paroi, un pied de chaque côté de l’espace qui nous reste pour passer. Tourne à gauche, tourne à droite (ou l’inverse). Arrêt émerveillé devant une petite chauve souris qui finit sa sieste hivernale. “En hiver il faut être très discret et ne surtout pas les réveiller. Elles ne se rendorment pas, et impossible pour elles de trouver à manger l’hiver, donc elles meurent”.
Nous continuons notre parcours d’Indiana Jones puis nous nous arrêtons dans une petite cavité. Le sol est penché et boueux. Nous nous asseyons de nouveau et éteignons, pour écouter cette fois-ci le silence. Ensuite Ogy s’amuse à pinturlurer les joues des filles avec la boue : “On se met de la boue sur les joues pour prouver que nous sommes allés au fond de la grotte”. Cela plait à Lison qui s’en met une double tartine. “On conti.. – Oui !!!” s’empresse t-elle de répondre. La fin de l’exploration se fera à plat ventre, en rampant dans la boue. Puis demi-tour, nous re-admirons la chauve souris qui dort, et sortons au grand jour pour rejoindre Maman et Solène.
Pendant ce temps, Solène et moi avons ramassé trente six cailloux, douze bâtons de bois, observé quarante deux lézards et passé une heure au téléphone avec une copine. Hier, E. Macron a annoncé la fermeture des écoles en France, j’avais besoin de savoir comment l’annonce était accueillie et de prendre plus largement des nouvelles de la place du Bourg.
La Bulgarie expliquée par un bulgare
Tout en haut de la falaise, je me fais assaillir par mes mini cafards. “C’était trop bien maman ! On a marché sur un gros tuyau d’eau, on s’est mis de la boue sur le visage pour prouver qu’on était bien allé tout au fond de la grotte ! Et on s’est allongé dans le noir pour écouter le silence !” A voir leurs pantalons plein de boue, pas de doute qu’elles ont aimé. Pique-nique en haut de la falaise. Glace en bas. Nous prenons le temps maintenant de discuter avec Ogy. Il nous donne ses lieux favoris, nous recommande d’aller jusqu’à la mer noire. Aujourd’hui, Ogy anime des camps de jeunes l’été et pendant les vacances. Il les amène dans les Rodhopes pour faire tout un tas d’activités nature. Il nous raconte ce que sont ces petites pendeloques accrochées aux branches des arbres, des gri-gris qui sont dispersés dans la nature à partir du 1er mars pour accompagner la floraison. Ogy a arrêté d’en mettre. “Ce sont des petites choses qui viennent de Chine et qui restent là plusieurs années, c’est fabriqué en matière synthétique, ça ne se détériore pas naturellement, ça pollue, finalement.” Ha, nous retrouvons un brin de conscience écologique ! D’ailleurs hier, nous avons vu des gens ramasser des déchets au bord des routes de leur village. Et plusieurs balayeuses de ponts, certainement pour éviter l’installation de graines qui en poussant détruiraient l’infrastructure. Certains mettent du désherbant, ici on balaie. Ce doit être moins coûteux… Lakatnik est encore un de ces endroits prisé des bulgares et exclu des circuits touristiques. On y vient très facilement depuis Sofia par le train, le trajet d’une heure coûte 3 lev, 1€50. On y vient pour faire de la spéléologie, de l’escalade surtout au printemps car l’été la falaise est truffée de serpents, de la randonnée, du canyonning et on y vient aussi en moto car la route serpente dans la vallée. D’ailleurs, heureusement qu’Ogy est là pour traduire la carte de ce joli restaurant tout moderne et de passer commande car le serveur ne comprend même pas le mot “ice cream” en anglais. Ogy nous informe surtout sur la situation du pays face au coronavirus. Les écoles sont fermées depuis deux semaines déjà, les musées sont fermés -haaa… c’est pour ça qu’on n’a pas pu entrer au musée d’archéologie de Sofia- les gens cèdent à la panique et ne sortent plus de chez eux -haaa… C’est pour ça qu’il n’y avait pas beaucoup de monde en ville- Nous redescendons de notre petit nuage.
Nous quittons Ogy en lui offrant notre dernière bouteille de vin français, un Chinon que nous gardions précieusement pour offrir à un non-français. Je crois que nous lui avons offert un véritable trésor. Ogy, qui aime le vin, n’a pas caché sa joie. Il ne doit pas avoir souvent accès à des bouteilles françaises. Salutations et au revoir. Il avait accepté notre sollicitation, sans condition aucune et avec un grand plaisir, par passion de la spéléologie et de ce beau lieu, et aussi certainement touché par l’envie d’une enfant de 8 ans de découvrir le monde souterrain. Ce fut une belle rencontre. Merci Ogy.
Campement bulgare
Nous avons une heure de route maintenant pour rejoindre Prohodna, la grotte que nous visiterons demain. Nous arrivons dans une large prairie où les voitures se garent, au fond, trois camping-car installés en U, drapeau bulgare et grande tente-chapiteau. Pierre va les saluer et ils nous proposent de nous installer avec eux. Sympathique. Pierre nous déplace. Mais à vrai dire, ce soir je ne suis pas vraiment disponible pour la rencontre. Nous avons passé une journée fatigante, gravi une haute falaise en plein soleil, nous sommes en sueur et l’heure est à la douche pour tout le monde. Alors quitte à paraître asociale, je m’occupe d’abord des enfants, douche, pyjama, repas et nous les laissons jouer un peu pendant que nous allons rejoindre ces nouveaux voisins bulgares.
Etat d’urgence en Bulgarie
Dehors, ils ont fait un feu puis se sont installés pour manger tous les six sous leur grande tente. Pierre a apporté quelques bières. Nazdravé ! Deux et demi d’entre eux parlent anglais, ce sont trois couples d’amis qui campent ensemble pour le week-end. Autour des trois tables pliables assemblées, ça parle coronavirus. Ça parle fort, ça s’énerve, ça blague et ça rigole. Tout en bulgare, impossible de suivre. En aparté mes voisins de table me traduisent. Le pays vient de franchir un cap dans les mesures de protection. Fermeture des frontières et fermetures de tous les commerces non-alimentaires. Aïe, ça se complique pour nous. Va-t-on pouvoir poursuivre notre Carapate ou serons-nous coincés en Bulgarie ? Je tente de vérifier ces informations et de savoir ce qu’il en est de la frontière roumaine. C’est compliqué dans des pays dont on ne sait presque rien et dont on est incapable de lire la langue. Si, il y a une chose que j’aurais dû faire plus tôt, m’inscrire au fil d’Arianne, ce service du ministère des affaires étrangères qui nous localise et nous fournit l’information relative à la situation des pays. Une formulaire en ligne, une application à télécharger, c’est simplissime. Les frontières roumaines sont elles fermées ? Arianne ne le dit pas… Et Capucine vient me chercher, Solène me réclame. Les échanges avec cette sympathique bande de bulgares n’auront pas duré longtemps. Tant pis. Je vais coucher mes filles et reste avec elles. Un message aux équipage amis, les @VertsVanlife sont en Bulgarie comme nous depuis hier. Les @5abord ont laissé leur camping-car à Sofia et sont partis pour une semaine en France rénover un de leur deux restaurants. Vont-ils pouvoir revenir ? La situation est encore plus compliquée pour eux. Ce soir nous ne prendrons aucune décision, la nuit porte conseil.
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