Dimanche 22 mars 2020. J254. Lac Razim, Roumanie. Que la vue est agréable de notre salon ce matin ! Nous dominons une belle roselière au dessus de laquelle toutes sortes d’oiseaux passent. Mouettes, goélands, cormorans, canards en tout genre, rapaces, cygnes, cigognes et pélicans. Nous avons maintenant bien appris à tous les reconnaître, de loin, à leur forme et leur façon de voler.
Un message d’un collègue, il vient aux nouvelles depuis longtemps. Je réponds que ça va, qu’il n’y a pas encore de confinement ici et que nous poursuivons doucement notre road-trip en s’isolant. Erreur. L’annonce du confinement général a été proclamée hier soir par le gouvernement roumain. Mais ce matin, l’information ne nous est pas encore arrivée.
Nous faisons donc l’école tranquillement, comme tous les jours en ce moment. Et quand elle est finie, on fait même du rab de travail. Car il fait froid dehors, froid, gris et venteux. Je suis en réalité la seule à avoir envie de sortir et d’explorer ce marais. Même Pierre préfère rester confiné dans son 8 mètres carré. Alors je patiente, on finira par sortir tous ensemble en fin de matinée, non sans insister un peu. Les enfants quoi. “Fait trop froid, je veux pas aller dehors, gna gna gna…” Deux minutes plus tard ils jouent à cache cache dans petites pyramides de roseaux faites pour la récolte traditionnelle du chaume. Et nous jouons avec eux. Moment de folie, de cris, de course et de rigolade.
La balade dans les marais sera plus monotone. À notre approche, tous les oiseaux s’envolent au loin. Faut dire que l’on est incapable d’être discrets tous les cinq, avec nos manteaux de toutes les couleurs. Au grand dam de Pierre qui n’aime que la discrétion.
Que fait-on des vagabonds ?
C’est au retour de cette balade que nous apprenons la nouvelle. Nous nous étions inscrits récemment sur le groupe Facebook des français en Roumanie, inscriptions validée juste ce matin, et c’est eux qui nous informent de l’annonce du confinement en nous donnant directement la traduction des consignes officielles par l’ambassade de France. Lecture attentive. Entre autres mesures qui ne nous concernent pas ou que nous appliquons déjà, les déplacements de jour sont autorisés uniquement dans certains cas dont le ravitaillement. Avons-nous le droit de “changer de spot” tous les jours, puisqu’en soit, nous le faisons sans sortir de chez nous ? Impossible de savoir comment cette réglementation générale peut être interprétée dans notre cas très particulier. Le risque de se faire contrôler et d’être embêtés par les autorités est désormais accru. Mail à l’ambassade pour demander leur avis. Le confinement prend effet lundi soir, nous avons 36 heures devant nous pour nous adapter.
Moi, tant que l’on peut passer entre les gouttes et continuer notre petit périple en restant isolés dans la nature, ça m’irait. Mais ça ne va pas à Pierre. Pour lui, le stress et la pression mentale est trop forte depuis une semaine. Il redoute plus que tout d’avoir à se justifier aux forces de police car c’est lui qui est en première ligne. Lui, ne souhaiterait qu’une chose : s’arrêter, se confiner sans bouger, voir même hiberner totalement s’il pouvait. Sincèrement, j’entends son besoin mais j’ai du mal à l’accepter. Tant que nous pouvons être libre, gambader dehors et découvrir de nouveaux coins tous les jours, le voyage continuerait tant bien que mal. Et puis nous sommes aux portes du Delta du Danube, si nous faisons demi tour maintenant, nous serons passés à côté sans rien voir. Être arrêtée par les autorités est une chose à laquelle je me plierai sans discuter. Mais être arrêtée par mon mari… J’avoue que l’idée me désole totalement. Mais il faut bien que je l’entende ce souhait. Nous faisons équipe et cela exige un équilibre délicat entre les besoins des uns et des autres, même quand ils sont antinomiques. Après de sages discussions à cœur ouvert et quelques larmes, nous prenons la décision. Nous cherchons un endroit pour s’arrêter le temps qu’il faudra, mais ce soir nous dormirons au cœur du Delta.
Solidarité
Décision est prise. Il n’y a plus qu’à trouver un endroit. Pour ça, Park4night n’est plus utilisable, les stationnements qu’il propose sont censés être utilisés juste pour une nuit, pas beaucoup plus en théorie. Nous devons chercher un coin de jardin chez quelqu’un. Pas simple dans un pays inconnu ? Si, ce sera très simple. Incroyablement simple. Un message sur le groupe Facebook des français en Roumanie. Nous recevons dans l’après-midi 4 propositions. Je nous inscris en même temps sur le site du service du ministère des affaires étrangères dédié à la mise en relation des expatriés français avec des français à l’étranger qui ont besoin d’un hébergement d’urgence. Nous recevons 4 autres propositions. Cette solidarité qui nous est envoyée instantanément et sans condition est incroyable. Extrêmement touchante et tellement réconfortante. Il ne nous reste plus qu’à les étudier pour trouver celle qui sera la plus adaptée. Mais ça, nous le ferons demain matin. Une chose après l’autre.
Pendant ce temps, nous avons aussi roulé une heure en direction de Murighiol, un village au cœur du Delta. Nous avons traversé des villages traditionnels, des plaines encore parfaitement plates, contourné quelques collines, vu quatre cigognes dans leur nid, et longé d’immenses marais aux roseaux dorés. Nous avons inspecté un premier park4night qui ne nous a pas plu, trop près de la route. Nous avons roulé un peu plus loin, longé une piste le long du Saint Georges, l’un des trois défluent du Danube. Défluent, le contraire d’affluent. En son delta, le Danube se sépare en une quinzaine de défluents dont les trois principaux sont les bras de Chilia, de Sulina et de Saint-Georges. Nous avons trouvé une pâture très sympa au bord de l’eau. Mais la petite pente bien raide que nous avons descendu pour y accéder nous inquiète. Avec Pierre, nous retournons inspecter les lieux. De la pluie est prévue pour la nuit, le chemin est sablonneux. Non, ne restons pas là. Tant pis, nous remontons immédiatement ce talus et nous nous garons à l’entrée de ce chemin, juste à la sortie d’un village. Nous ne serons pas cachés pour cette nuit, mais nous sommes sûrs de pouvoir repartir demain.
Ce soir, c’est Lison qui se met en cuisine sous mon œil attentif. Cela me libère pour répondre aux échanges avec les personnes qui nous proposent leur aide. Et puis nous décrochons, nous déconnectons de cette ambiance pesante de lendemains incertains et nous mettons un film. Mais un film léger, drôle et même bien bête. Depuis que nous avons rencontré le cousin Brice, surfeur à Anglet, les filles nous demandent de voir le film Brice de Nice. Tout le monde rit.
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