Vendredi 12 juin 2020. Brasov, Roumanie. Hé bien, nous avons bien fait de ne pas dormir sur l’herbe tendre de cette pâture car il a plu toute la nuit et nous n’en serions jamais ressortis ! Et du coup, après le petit déjeuner, Pierre disparaît. Il en a rêvé, avec toute cette pluie, sûr que quelques champignons sont sortis. Pendant ce temps, l’école se fait tranquillement. Aujourd’hui nous sommes le 12 juin, et toujours pas d’information officielle sur la réouverture des frontières le 15, lundi. C’est toujours inquiétant.
Dracula ? Mouais…
A 10h, Pierre revient avec le graal, un cèpe tout rond. Nous pouvons partir. Au programme aujourd’hui, nous aurions dû visiter le château de Rasnov, mais celui-ci est fermé, Alors nous irons à Bran, juste à côté, « le château de Dracula ». C’est sa réputation, mais rien ne prouve que le comte Vlad l’Empaleur y ait séjourné, on nous avait prévenu, cette histoire de Dracula est une machine à touristes. Quoi qu’il en soit, je sais que le château est intéressant pour ce qu’il est, pour son histoire médiévale et contemporaine.
Origine teutonique
Au XIIIème siècle, ce sont les chevaliers teutoniques, venus du nord, de ce que sont aujourd’hui les Pays Baltes, qui construisirent sur ce piton rocheux une forteresse en bois pour contrôler la vallée, point de passage stratégique entre la Transylvanie et la Valachie, et point de passage également pour le commerce avec Constantinople et l’Orient. Plus tard, la tour de garde en bois fut assiégée et brûla totalement lors de l’invasion des Mongols. En 1377, le roi de Hongrie missionne la ville de Brașov pour construire une nouvelle forteresse de pierre pour contrôler la passe et collecter les droits de douane des marchands valaques ou saxons qui l’empruntent.
Les Habsbourg et la reine Marie
1699, les Habsbourg deviennent princes de Transylvanie et, par conséquent, propriétaires du château. Mais en 1918 leur empire s’effondre et le château devient propriété de la maison royale de Roumanie.
La reine Marie l’aime beaucoup et le transforme en résidence d’été pour la famille royale. En 1947, les communistes contraignent le roi Michel Ier à abdiquer, le château est confisqué et transformé en musée. En 2006, au terme d’une longue procédure, le château est restitué à son propriétaire, Dominic von Habsbourg, le petit-fils de la reine Marie, 58 ans après avoir été confisqué.
L’histoire de la reine Marie
Les intérieurs du château sont très beaux, nous nous amusons à parcourir les jolies pièces et les étroits escaliers. Ce qui est fascinant, c’est de découvrir l’histoire de la Reine Marie. Fille du Duc d’Edimbourg et de la fille du Tsar Alexandre II de Russie, petite fille de la reine Victoria, et du Roi de Saxe, elle grandit entre le Royaume-Uni et Malte.
Diplômée d’une école militaire, elle a commencé sa carrière en commandante de garnison, avant d’épouser Ferdinand, futur roi de Roumanie. Le roi Ferdinand était « un homme calme, facile à vivre, et sans caractère ; ce n’était pas lui, mais Marie, qui dirigeait la Roumanie ».
Marie et le destin de la Roumanie
C’est Marie qui pousse la Roumanie à rejoindre les alliés de la Première Guerre mondiale en 1916. Pendant la guerre, Marie est infirmière volontaire de la Croix-Rouge pour aider les malades et les blessés. En 1919, c’est elle qui participe aux négociations du traité de Trianon lors de la conférence de la Paix à Versailles, à la place de son premier ministre, peu aimé du président français Clémenceau. La Conférence rassemble les vainqueurs de la guerre afin de négocier les traités de paix entre les alliés et les vaincus. La Reine de Roumanie veut réunifier les roumains, en rassemblant dans un même pays toutes les populations romanophones. Par le Traité de Trianon, elle récupère une partie de la Transylvanie à l’Empire Austro-hongrois, et une partie de la Moldavie à l’URSS. À Paris, la presse écrit : « Il n’y a qu’un seul homme en Roumanie, c’est la Reine ».
Kürtős kalács
L’avantage des spots à touristes, c’est qu’il y a autour du château quelques petits magasins de producteurs aux fromages non encore standardisés par Lidl. Et ça, ça fait plaisir à retrouver. Pierre a trouvé lui aussi un petit bijou, un Kürtőskalács tout frais, genre de gâteau à la broche tubulaire, moelleux comme une brioche et croustillant de sucre un peu caramélisé autour. Une vraie découverte et un vrai régal.
Peut-on voyager s’il vous plait ?
A midi, une nouvelle tombe. La Pologne ouvre ses frontières aux ressortissants européens demain. Il était temps de l’annoncer ! Joie, grande joie ! Très bien. Il ne reste plus qu’un détail, trouver comment traverser Hongrie et Slovaquie, si ces pays n’ouvrent pas leurs frontières lundi. Est-ce que la possibilité de transit fonctionne même si l’on ne prend pas la direction de son pays d’origine ? Sur les sites des ambassades, l’information n’est pas donnée. Mail de demande. A suivre.
Où va t-on maintenant ? Nous filons vers la frontière pour sortir le 15, sans savoir si l’on pourra entrer en Hongrie ? Où prenons-nous le risque de dépasser la date de sortie de Roumanie, et nous poursuivons notre chemin comme prévu ? Notre chemin ? C’est maintenant de traverser une énième fois les Carpates par la passe de Bran, pour la retraverser dans l’autre sens un peu plus loin par la Transfăgărăşan, cette route mythique qui se faufile vers les sommets les plus haut de la Roumanie. Irrésistible. En route. J’ai repéré un spot en pleine montagne, juste avant la forteresse de Poenari, le vrai château de Dracula.
Transfăgărăşan fermée
Après deux grosses heures de belle route, nous arrivons à Curtea de Argeș, point d’entrée de la Transfăgărăşan. Un panneau : « Transfăgărăşan inchis ». « Inchis ? » Fermée. La loose… Fermée au mois de juin ? Je tapote sur mon clavier pour confirmer l’information. Transfăgărăşan.net est formel. Inchis. M… nous venons de faire deux heures de route pour rien. Nous ne tentons même pas d’aller voir si « ça passe », un peu marre des routes roumaines. Je cherche un plan B pour ce soir, un joli spot pas trop loin.
Heureusement, ce spot est facile d’accès et merveilleux. Champ fleuri, pas de passage, vue au sud et vue au nord, sur ce fameux massif de Moldoveanu, le plus haut de Roumanie. Comment ferons-nous demain ? Notre prochaine étape est la ville de Sibiu et pour nous y rendre, il y a de nouveau deux heures de route par une vallée encaissée et une grosse route à camions. Ou alors on peut tenter une autre route de montagne, la Transalpina, cette ancienne route romaine pavée. Je me renseigne sur son état, avant. Récemment rénovée elle est entièrement bitumée mais l’entreprise a fait faillite et la rénovation n’est pas terminée nous prévient-on sur son site, il manque quelques renforcements de la chaussée. Y’en a marre de ces routes roumaines…
Demain sera un autre jour, en attendant, j’ai un cèpe à cuisiner.
Laisser un commentaire