Janvier 2021. Mille fois la question nous a été posée. Mille fois nous avons raconté notre retour. Comme si cela était plus intéressant que notre voyage. Comme si c’était le moment le plus difficile à vivre dans un tel projet. Ou comme si, blog en stand-by, avoir de nos nouvelles manquait aux gens.
Effectivement la question du retour est cruciale et mérite bien un petit article. Comment revient-on à la « vraie vie » ? (En estimant que le train-train « métro-boulot-dodo » se rapproche plus de la « vraie » vie que le rythme d’un voyage, ça c’est un autre débat). Certains nous avaient mis en garde avec bienveillance : « Votre retour risque d’être très très dur… ». Avons-nous retrouvé notre vie d’avant ? Ou notre voyage nous a-t-il complètement changé ? Est-ce facile de passer d’une vie de mouvement quotidien, à la sédentarité stricte ? Les filles ont repris le chemin de l’école, la ré-adaptation après une année de liberté n’a-t-elle pas été trop difficile ? Comment retrouve-t-on son boulot ? Y retrouve-t-on sa place ?… C’est vrai qu’un tel voyage fait rêver, rêver mille fois plus qu’une vie tranquille dans une jolie ville d’Aveyron. Comment avons-nous réussi à redescendre de notre nuage ?
Hé bien en continuant à voir toujours le bon côté des choses, le positif d’une situation, à être attentifs à chaque petit bonheur, et en se laissant rêver évidemment à d’autres voyages… Petit tour d’horizon des inquiétudes d’un retour de voyage long, et de comment nous les avons traversés.
La reprise du rythme de sédentaires
Après quatorze mois de voyage et d’itinérance avec notre maison mobile, nous sommes rentrés à Rodez le 23 août, pile poil une semaine avant la rentrée scolaire. Pas beaucoup de temps pour défaire nos valises (c’est à dire vider, astiquer le camping-car) et pour réaménager notre appartement laissé en location meublée pendant notre absence. Un déménagement en soi. Le manque de temps nous a finalement amené à remettre tout précisément au même endroit, meubles, affaires, déco… A la maison, rien n’a changé finalement, à part ce tapis estonien qui orne l’atelier et un mur de dessins, aquarelles et cartes postales qui sont presque nos seuls souvenirs palpables.
Et puis très vite la rentrée nous a emporté dans une tempête d’impératifs. Dossiers administratifs exigés par les trois écoles, démultipliés par les « protocoles covid », inscriptions aux activités extra-scolaires et organisation d’un complexe emploi du temps, adaptation de nos différentes assurances auto, maison et scolaire, ajustement de nos forfaits internet et téléphonie, réunions de rentrée des écoles, du collège, des associations,… Vraiment, tout cela ne nous avait pas manqué l’année précédente et à ce moment-là, oui, nous avons trouvé que le retour a été difficile.
Les points positifs ? Pleins ! D’abord il y a eu le plaisir de vivre de nouveau en communauté. Le plaisir des cafés partagés le samedi matin aux abords du marché. Le plaisir d’inviter des amis et d’entendre les copines rire ensemble comme si elles ne s’étaient jamais quittées. Le plaisir de s’entraider, « J’amène les filles à la danse, tu vas les chercher ? ». Et puis le plaisir, que dis-je, l’immense bonheur de retrouver le marché de Rodez, ses producteurs, les délicieuses poires de Yannick, les légumes de Fred, de Roualdès, ou de la Ferme d’Agen, les farçous de Hans et les petits fromages de chèvres de la vallée d’Olt. La merveilleuse viande aveyronnaise de chez Théron et les pains croustillants de la Cathédrale, les pagnettes de l’Etoile des pains, et le pain écureuil de Fred & Anthony,… Les fromages du Mazel, ceux de Fabienne et ceux des Artisous,…
Oui, nous avons vraiment à Rodez une qualité d’alimentation incroyable et oui, vraiment cela nous avait manqué en voyage. Non pas que cela n’existe qu’en Aveyron, mais c’est surtout que la vie nomade ne permet pas vraiment de rechercher les meilleurs circuits d’alimentation et de connaître ses producteurs. Aujourd’hui, je mesure encore plus ce luxe qu’est d’avoir accès à une alimentation de qualité et je prends un réel plaisir à regarder ce beau marché et à choisir mes légumes chaque mercredi matin.
Le retour à l’école publique et le bilan d’une année d’école buissonnière
Le retour à l’école s’est fait avec enthousiasme pour tout le monde. La maîtresse de Solène, moyenne section de maternelle, ne s’inquiétait pas vraiment de ses compétences scolaires, mais de sa capacité à respecter les règles de vie de groupe. Mais finalement non, Solène a réintégré sa classe comme si elle ne l’avait jamais quittée. Ses premiers jours étaient faciles, les suivants un peu moins. C’a été dur de ne plus être en famille toute la journée, les séparations du matin ont été longues, les retrouvailles attendues. Et puis elle s’est faite aux rythmes, s’est tissé de nouvelles amitiés.
Pour Lison, CE2, pareil. Une rentrée comme une formalité. Avec la motivation de montrer qu’elle a gardé le niveau. La grande nouveauté : dictée tous les vendredis. En Carapate, les dictées avaient été un échec systématique. Il allait falloir qu’elle s’y mette. Et elle s’y est mise, avec une motivation décuplée. Note à moi-même : ne jamais coller d’étiquette à un enfant. Sa technique pour apprendre les mots : chanter les lettres en dansant. Pour une Maman c’est déconcertant, pour une aventurière ça fonctionne.
Pour Capucine, c’était la grande rentrée en 6ème. Bandes de potes et autonomie. Ma grande gère son emploi du temps, ses devoirs, ses horaires et ses différentes activités comme un chef. Habitant en centre ville, elle fait tout à pied, seule ou entre amis. Bulletin de notes du 1er trimestre : Félicitations. Par rapport à son niveau scolaire d’avant voyage, elle est montée d’un cran.
Pendant la préparation de ce voyage on m’avait dit : « en général les enfants reviennent d’une année d’école en voyage avec un meilleur niveau qu’avant, même s’ils ne font qu’une heure de maths/français par jour ». Nous étions confiants, mais nous ne nous étions donné que l’objectif qu’elles restent au niveau. Résultat, déscolarisés, 1h d’école par jour et des découvertes pleins les yeux, elles montent en compétences scolaires. C’est incroyable, mais c’est le constat.
Le retour au travail
Retour au travail enthousiaste pour moi. Après une année entière à ne m’occuper que de ma famille, j’étais contente de me remettre au service d’autres, d’une cause commune. Contente de retrouver la compagnie d’adultes, de partager des projets et d’avoir des discussions plus complexes. J’adore mes enfants mais passer une année ensemble, 24 heures sur 24, c’était suffisant. J’y ai retrouvé ma place, des collègues contents de me retrouver et une ambiance sereine, je dirais même meilleur. Beaucoup de positif.
Pour Pierre, c’est pareil, la sensation de retrouver des collègues contents de le voir revenir. Il s’est considéré comme nouveau (même si ce n’est pas vrai) : des missions différentes d’avant, quelques nouveaux collègues à découvrir, de nouveaux coworkers également, des locaux tout rénovés.
Ce qui a peut-être changé
En fait,… je ne sais pas. Si ce n’est que nous essayons d’être plus sobres dans nos gaspillages : fabrication maison de la lessive à la cendre, séchage des épluchures de légumes pour faire de la poudre à bouillon. Après les gâteaux à la courgette, nous en fabriquons à la carotte ou à la courge pour remplacer le beurre. Des enfants peut être un peu plus autonomes, mais quelle est la part du voyage là dedans, puisque tout enfant grandit ? En tout cas notre aînée a appris à parler anglais toute seule, et ça ça nous en bouche un coin.
Nous essayons de maintenir nos sens en éveil : nos oreilles restent attentives à l’actualité des pays d’Europe quand les radios françaises veulent bien en parler, nous scrutons toujours ce qui se passe là où nous avons laissé nos nouveaux amis roumains, anglais, irlandais, espagnols, portugais, albanais, belges, etc…
Ah voilà, c’est ça qui a changé : nous nous sentons un peu partout chez nous, y’a plein de canapés qui peuvent nous accueillir. Nous sommes aussi devenus sensibles à la littérature d’Europe et aux films albano-italo-grec ou finlando-estoniens.
Pierre pensait que nous étions devenus naturistes, tout seuls sur de magnifiques plages en hiver au Portugal ou en Grèce. Mais l’hiver de chez nous a mis en berne nos velléités, et il faudra surement attendre l’été prochain pour savoir ce qu’il en reste.
Des nouvelles de nos rencontres
Les Verts Vanlife sont désormais des amis de tous les jours. Ils ont garé leur camion à proximité de Rodez dans une propriété qu’un ami leur prête le temps qu’ils trouvent la maison de leur rêve. Nous nous voyons régulièrement, nous avons nos enfants aux scouts ensemble.
Laura, Gaël et Béatrice, nos compagnons de confinement en Roumanie, sont venus passer Noël en France et nous ont fait l’honneur d’une visite. C’était vraiment une joie de les avoir maintenant à notre table, après avoir passé sept semaine à la leur ! Nous nous sommes fait un point d’honneur à leur cuisiner les meilleurs produits aveyronnais. Laura la roumaine ne connaissait pas l’aligot, nous avons fait notre devoir. Gaël, le gars des pays de la Loire aussi : il est arrivé avec deux cubis de délicieux vins, Coteaux du Layon et Cabernet d’Anjou. Et ce n’est pas tout. Sachant que Capucine avait eu deux hamsters pour son anniversaire, Gaël lui a fait la surprise de lui amener ses propres cages, celles qu’il avait stocké chez son père depuis belle lurette. Canaille et Plume ont désormais chacune leur palace, avec roues, labyrinthes, et tuyaux dans tous les sens. Une bonne partie de rigolade ensemble.
Comme nous leur avions promis, nous avons envoyé à Feri et Berta ce grand livre de cartes géographiques, celles qui ont accompagné notre voyage. Berta rêvait d’emmener ses filles voyager mais se heurtait à leur manque de curiosité. Elles se sentent si bien dans leur coin de nature au cœur de la Transylvanie ! Avec ces cartes tout en dessins, elle va pouvoir leur parler des pays qu’elle souhaite visiter. Le livre, en version anglaise, commandé sur Amazon (je n’ai pas trouvé ailleurs…), a mis 6 semaines pour trouver l’adresse des amis de la famille (la poste roumaine ne passe pas à Firtos). Il est finalement arrivé le jour des 40 ans de Berta, qui a du se creuser un peu les méninges pour trouver qui était l’auteur de ce présent. C’est un message rayonnant de joie qu’elle nous a finalement adressé. La famille a passé un bon été, l’artisanat qu’elle produit s’est bien vendu. Ils ont acheté un cheval et les filles le montent tous les jours. « Hope a better world is coming » a-t-elle conclu son mail.
Thomas, qui voyageait avec le rêve d’aller jusqu’au Sri Lanka, a trouvé frontières closes après la Turquie. Il est rentré lentement en France, passera l’hiver au chaud et renflouera les caisses pour pouvoir repartir au printemps. Même destination, le Sri Lanka, mais à deux, en amoureux, et en faisant un petit détour par la Scandinavie. La belle vie des voyageurs.
Karine et Simon quittent Edimbourg après plus de dix ans de vie d’expatriés. Ils fuient le Brexit et poursuivent leur rêve dans le Sud-Ouest de la France. C’est dans le Lot qu’ils ont atterri, pas bien loin de Rodez.
Nous avons revu Armand également, cet aveyrono-néerlandais qui nous avait accueilli dans sa maison de famille après simplement un tweet échangé. Hé bien Armand habite vraiment proche de chez nous, dans la maison d’en face et quand on ferme les volets, on se salue. Il aura fallu toute une Carapate pour connaitre le voisin !
François et Mélody ont eu un bébé en ce début d’année, leur premier enfant. Rencontrés en Ecosse, nous avions partagé trois jours de voyage et nous avions craint de leur couper l’envie de fonder une famille… Finalement non.
Gérard, restaurateur à Londres, a fermé son restaurant un temps, puis s’est mis au « take-away ». Le moral est morose dans la jolie banlieue fleurie mais l’ambiance familiale est toujours joyeuse.
Margherita, la fille de Manuela est née ! Enfin, il y a un an, c’est à dire un mois et demi après notre rencontre.
Et puis nous avons encore tous les autres à recontacter…
Les projets pour la suite ?
En réalité notre projet n’est pas totalement terminé dans nos têtes. Comme on dit chez les scouts, il nous reste à vivre le troisième temps. Après la préparation, le voyage, les temps du témoignage. Réaliser une soirée de témoignage est dans nos projets, mais synthétiser 14 mois de voyage en un montage de quelques minutes est quelque peu compliqué. Heureusement le confinement est notre bonne excuse pour dire qu’on organise ça pour le printemps ou l’été.
Faire d’autres voyages ? Certainement. Quelques escapades ? Évidemment. Rassembler les textes de mon carnet de voyage dans un livre ? Nous aimerions.
Quoi qu’il advienne, continuez à suivre La Carapate !
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