Jeudi 17 octobre 2019. J108. Portugal. Il a plu toute la nuit. Et il pleuvra toute la journée. Mais rien ne peut entamer notre bonne humeur, nous avons tellement de chance de vivre notre Carapate que nous n’avons pas un jour à gâcher. D’ailleurs, le programme d’aujourd’hui est parfait : nous allons visiter le beau musée d’art rupestre de la vallée de Côa. Alors ce matin, les blagues faciles vont bon train. « La vallée de quoi ? La vallée de Côa ! ».
Bilan école du matin : bien pour Capucine et difficile pour Lison. Pour une fois, c’est le contraire. Lison grogne devant ses infinitifs, une notion nouvelle pour elle, alors qu’elle y arrive très bien. Capucine arrive au bilan de la première unité de maths.
Elle fait sa page de « préparation du bilan » et contre toute attente, fait zéro faute. La preuve qu’elle a bien intégré les apprentissages de ces derniers jours. Elle prend donc une dose de confiance en elle.
Ce matin, j’ai tranquillement cuisiné mon petit salé aux lentilles pendant l’école, vite avalé à midi, on file au musée. 1h20 de route à travers les reliefs du Portugal, des montagnes arides, couvertes tantôt de chênes, tantôt d’oliviers ou d’amandiers. Nous traversons plusieurs fois d’immenses ponts au dessus de larges rivières. Le ciel est gris, le sol est lumineux. C’est très beau.
Musée de Côa
Et le musée est incroyable. La route arrive directement sur son toit, triangulaire. Nous nous garons, descendons un long couloir entre deux diagonales de béton. Oui, c’est bien là ! Le musée restitue les gravures du paléolithique à travers des reproductions des pierres et des motifs les plus emblématiques. Il est très moderne, beaucoup d’écrans, des pierres à toucher, suivre le tracé avec le doigt. D’autres pierres authentiques à observer à la loupe. Ce que j’ai le plus aimé, l’esthétique des dessins, les tracés précis et assurés qui forment des bouquetins, des chevaux, des aurochs, des cerfs,…
Ce qui est le plus impressionnant, c’est que plusieurs dessins ont été tracés pour représenter le mouvement des animaux, comme des dessins animés. Ce cheval à trois têtes qui se baisse pour bouter, ou ce bouquetin à deux têtes qui regarde subitement derrière lui. Sur les pierres, les dessins sont parfois difficiles à distinguer. Mais mis en valeur par les reproductions du musée, ils sont très beaux. Solène et Lison se régalent à les reproduire sur leur cahier de dessin.
Artistes du paléolithique
Depuis l’époque où les hommes gravaient sur le schiste les animaux de leur environnement, le paysage a peu changé. Grâce à l’isolement, l’art rupestre de la vallée de Côa a été préservé jusqu’à nos jours. Il a même été perpétué au cours des siècles par les hommes de toutes les époques qui y sont passés et y ont laissé leur trace, inscrite sur la pierre, jusqu’au 20ème siècle, où fut représenté un train empruntant le pont ferroviaire de Foz do Côa.
Construction du barrage abandonnée
En 1992, lors de la construction d’un barrage, on découvrit des roches gravées datant du paléolithique. Après une longue polémique, le gouvernement choisit de conserver l’ensemble et de suspendre les travaux du barrage qui aurait élevé les niveaux des eaux de 130 mètres. Le site a rapidement été inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité, et le barrage construit plus loin.
Techniques de gravure
Jusqu’à présent, plus de 150 pierres gravées ont été découvertes, réparties sur plusieurs sites qui s’étendent sur 17 km le long du Rio Côa. Les gravures les plus anciennes ont environ 20 000 ans. Les techniques de gravure utilisées sont de trois sortes. L’abrasion : un sillon profond est fait en passant plusieurs fois avec une pierre taillée sur le trait. Le picotage : une succession de points martelés avec un caillou et formant un trait. Le trait filiforme : incision fine, plus difficile à distinguer.
Le musée nous a beaucoup plu, mais le plus intéressant serait d’aller voir ces pierres gravées in situe. Des sorties sont proposées, il suffit de s’inscrire. RDV est pris pour demain matin avec Marco qui sera notre guide. Nous pouvons dormir sur le toit du musée.
Visite de Vila Nova de Foz de Côa
Un petit tour en ville pour y sentir l’ambiance et trouver un bout de pain. Nous pointons notre nez dans l’église du village, dont des colonnes intérieures sont gravement penchées. « C’est pour donner un effet élévation vers le ciel » explique le guide vert. Ha, ça donne plutôt un effet de « tout va s’écrouler » nous trouvons. A la boulangerie, à la fromagerie, à l’épicerie, tout le monde parle français. Lison peut poser sa question à l’épicier : « Qu’est ce que prennent les portugais au petit déjeuner ? Du pain, du beurre salé, du lait et des œufs » nous dit-il. Depuis qu’elle a découvert le porridge en Angleterre, elle est curieuse.
Vendredi 18 octobre 2019. J109. Pour la nuit, notre parking en haut de la colline est des plus calme. Au matin, la vue est un peu surréaliste. On se croirait sur un porte-avion, prêts à décoller. Après l’école, les filles jouent à l’école… Fini le jeu de Ninou et sa cabane. Maintenant elles sont à Poudlard, l’école des sorciers. Programme, cours, exercices, contrôles,… Cours de potion, botanique, divination, métamorphose, astronomie, quiditch, soin aux créatures magiques et défense contre les forces du mal. Capucine est la professeur de tout. Elle reprend mes postures de maîtresse, le ton pédagogique, ou ferme parfois. Ça va, je ne dois pas trop la traumatiser. Lison est l’élève Hermione, et Solène est la chouette Edwige. Elles sont complètement absorbées par ce jeu et y reviennent à chaque moment libre qu’elles ont.
Visite guidée des gravures rupestres avec Marco
Nous retrouvons Marco à l’heure dite avec son 4×4. Il nous salue et fait un « high five » avec les filles, le courant passe de suite. Il est portugais et nous dit qu’il parle très mal français. En réalité non, il nous fera toute la visite dans un français parfaitement compréhensible. Nous embarquons dans son 4×4 pour 20 minutes de piste à travers les montagnes. Il nous parle de l’environnement, des cultures : oliviers, amandiers, vigne et dans le temps, seigle aussi. Sur ces flancs, escarpés et secs, c’est difficile à imaginer. Les habitants élevaient des pigeons aussi, pour fertiliser leurs terres et pour les manger. Marco nous montre les anciens pigeonniers blancs dispersés dans les montagnes.
Cette partie de la vallée est dénommée Canada do inferno, do inferno qui signifie « de l’enfer ». L’été, sur ce versant plein sud, la température monte fréquemment bien au-delà des 40°. 52°, ça a été la température maximale que Marco a rencontré ici lors de ses visites. Pour nous, il fera un bon 25 ! Nous kiffons.
Nous passons à proximité du barrage dont la construction a été stoppée pour préserver les gravures. « Une cicatrice » dans la montagne. Marco nous explique plus en détail l’ambiance qu’il y a eu ici. Les habitants de Foz do Côa et les paysans voulaient ce barrage, pour avoir de l’eau à boire et pour les cultures, pour les emplois aussi que ça créait. Mais tous n’étaient pas de cet avis, un professeur notamment a rassemblé les « contre » et le débat local s’est fait plus vif. Les archéologues, portugais mais surtout internationaux, se sont mobilisés pour démontrer le caractère extraordinaire de ce site. Le débat est devenu un enjeu politique national, sous pression de la communauté internationale.
Rencontre du paléolithique
Après 800 mètres de marche, nous voilà devant un mur de schiste, bien vertical, comportant plusieurs gravures enchevêtrées les unes dans les autres. Ici, interdit de toucher. Marco nous montre les tracés du bout d’un brin de paille. Les animaux sont les uns sur les autres. Pourquoi ? Impossible de le savoir avec assurance. Là, un cheval à deux têtes, l’un qui regarde au loin, l’autre qui broute. Les fameux dessins animés de la vallée de Côa. Ici un auroch, l’ancêtre du bœuf, avec ses deux grandes cornes. Et aussi des bouquetins. Ce sont ces trois animaux qui sont le plus fréquemment dessinés sur l’ensemble de la vallée, toujours les mêmes alors que l’on sait que les hommes préhistoriques mangeaient aussi des poissons, des lapins,… Les archéologues pensent que ces dessins ne sont pas de banales informations laissés aux chasseurs de passage, ou la marque d’un territoire qui pourrait appartenir à une tribu. L’hypothèse qui est pour l’instant retenue est celle de la valeur symbolique, ou spirituelle, de ces dessins. Ces animaux n’étaient pas des prises courantes. L’auroch en particulier est bien plus gros qu’un bœuf, plus haut qu’un homme. Chasser un grand animal était certainement à l’époque quelque chose d’exceptionnel. Un fait à graver sur la pierre, pour la postérité, ou pour remercier un dieu ou une providence.
Avec Marco nous parcourons comme ça plusieurs sites. Il est très prévenant avec les filles pour qu’elles saisissent bien ses explications. Et il est très patient avec nous et le millier de question que je lui pose. Beaucoup de mystères demeurent autour de ces gravures, il n’a pas la réponses à tout et toutes les réponses sont complexes. Plus loin, il nous montre des dessins fait d’une ligne fine, la simple gravure d’un quartz tranchant sur le schiste. Pas facile à distinguer. Comment les archéologues ont-ils identifié ces dessins-là ? Un incroyable travail de fourmi.
Ce fut une matinée géniale. Non seulement car nous nous sommes trouvé nez à nez ces éternelles traces de nos ancêtres. Mais aussi car nous avons eu un très bon échange avec Marco qui au delà de la visite, nous a appris des tas de choses sur le Portugal, son histoire, son état d’esprit.
Peintures rupestres préhistoriques
A Foz de Côa ce sont des gravures, mais il y aussi les peintures rupestres à Altamira en Espagne et à Astuvansalmi en Finlande.
Laisser un commentaire