Fisterra, la fin de la terre

Samedi 5 août 2023. Finis terrae, c’est le nom qu’ont donné les romains à ce cap en arrivant ici. Nous passons du point le plus au nord de l’Espagne, au point le plus à l’ouest. La fin du chemin de Compostelle également. Un autre bout du monde comme nous les aimons.

Et nous ne sommes pas les seuls à aimer. Park4night nous a prévenu, il faut arriver tôt pour dormir au bout du monde. Nous arrivons à partir à 10h, c’est tôt. Après une pause technique rondement menée, eaux du camping-car et alimentation en même temps, nous y arrivons pour midi et nous avons le choix dans les places. Celles des extrémités de parking, les plus prisées, sont déjà prises. Mais nous arrivons à nous garer sur un parking plus petit, en contrebas, relativement espacés des voisins ce qui nous permet d’avoir vue sur mer depuis au moins une des deux banquettes du salon. Ça ira.

Chipirones

Ce matin, j’ai fait une folie, j’ai acheté des chipirones surgelés, petits calamar que je vais tenter de cuisiner maintenant. C’est une grande première pour moi. Je les fais revenir à la poêle avec une grosse poignée de légumes du soleil. Simplissime et délicieux. Avec Pierre, nous nous régalons, les filles préfèrent la salade de tomates.

Motiver l’ado

Au programme d’aujourd’hui, surtout ne pas bouger le camping car. J’ai repéré un sentier qui descend à la plage côté ouest de la péninsule, 4 km, puis nous pourrons facilement rejoindre le village de Fisterra pour manger une glace, 1 km, avant de remonter à notre bout du monde par le chemin de Saint Jacques, encore 3 km. La proposition plage, glace convient aux filles, il ne faut pas leur parler des kilomètres. Capucine accepte de s’habiller.

Elle vit en mode chrysalide cet été. Elle a faim, et elle est fatiguée tout le temps. Son rythme des vacances : lever, petit-déjeuner avec nous, recoucher pour un livre, une sieste ou les deux, pendant que nous roulons, déjeuner à midi en pyjama et c’est après seulement qu’elle s’habille pour sortir un peu avec nous. Nous l’envions.

Randonnée vers la plage Mar do Fora

Le chemin commence en montant au sommet, ça grogne un peu dans les rangs, mais Pierre fait rire son fan-club et l’effort se fait oublier. En haut, la vue est incroyable, entourés de bleus. La table d’orientation nous indique que Lisbonne est en face de nous et New-York à notre droite, les filles ne comprennent pas. Le cap Fisterra, quoi qu’étant le plus à l’ouest de l’Espagne, est orienté vers le sud. Et nous avons donc New-York à notre droite.

Puis la piste descend au milieu des bruyères et des pins, vers la grande plage de Mar do Fora. On y accède par des passerelles pour traverser une grande zone de dunes où poussent quelques jolis lys blancs. Le sable est fait de coquillages brisés, paillettes se collant à la peau. L’eau est glaciale et les vagues sont fortes. J’ai beaucoup de mal à rentrer dedans et comme d’habitude ça fait beaucoup rire les filles. La baignade est vivifiante.

Village de Fisterra, village de pirates

Au village, nous trouvons une foule amassée autour de la petite plage et sur tous les balcons alentour. Des bateaux pirates se préparent à accoster. Une reconstitution historique va se jouer devant nous. Ce qui est amusant, c’est que beaucoup de spectateurs sont eux aussi habillés en pirates, enfants, parents et grand-parents. Tout le monde joue le jeu.

Nous n’avons pas compris à quelle histoire vraie se referait la scène qui s’est rejouée devant nous. Fisterra a connu un trafic constant du commerce avec les celtes. Le Cap Fisterra est aussi connu pour ses naufrages et les grandes catastrophes maritimes. Les romains avaient baptisé sa mer Mare Tenebrosum, en référence également aux monstres marins qui la peuplaient. Aujourd’hui, cette partie de la côte galicienne se nomme encore Costa da Morte. La catastrophe la plus importante de l’histoire de Fisterra eut lieu le 28 novembre 1596. Une flotte de 25 navires de guerre espagnols se perdit dans ses eaux et 1 706 marins y moururent.

Gourmande

Une fois le spectacle terminé, nous trouvons une petite heladería comme nous les aimons, mais qui proposent aussi des glaces dans des gaufres. Yeux écarquillés de gourmandise. Solène et Lison choisissent une composition plus grosse qu’elles. Et nous nous installons sur la petite terrasse pour déguster ce pêché-mignon. Solène a besoin d’aide pour manger sa pyramide instable avant que les smarties dégoulinants de glace et de caramel ne tombent sur ses genoux. Je dois lui tenir sa gaufre, sans en manger un croque. Un calvaire.

Fin du chemin de St-Jacques de Compostelle

Rechargés en sucre et en énergie, nous pouvons attaquer les 3 kilomètres qui nous séparent de notre bout du monde. Côté est de la péninsule, nous prenons le chemin de Saint Jacques. Je ne savais pas que nous le trouverions ici, nous sommes bien à l’ouest de Saint Jacques de Compostelle. Fisterra se revendique comme la fin du Chemin et de plus en plus de pèlerins y terminent leur périple obtenant la ‘Fisterrana’, document qui est remis dans l’Auberge municipale. Historiquement, après s’être recueillis sur la tombe de l’apôtre, les pèlerins venaient ici, brûlaient leurs vêtements, ramassaient une coquille Saint Jacques et rentraient chez eux en homme nouveau. 

Le chemin se fait en parlant. Solène n’arrête jamais de parler. Nous jouons en famille à notre jeu préféré, dénommé « le jeu des Pyrénées », pourquoi ? Parce que nous l’avons inventé là-bas. Une première personne évoque un souvenir de Carapate, la suivante poursuit par « ce souvenir, ça me fait penser à… » et raconte un autre souvenir. Nous refaisons ainsi un tour d’Europe, faisant remonter à la surface différents souvenirs, vécus différemment par chacun. Et la route passe vite. À la maison, à la vue mer, nous préférons la vue falaise pour notre pause apéro. Solène et Lison l’escaladent, elles ont encore de l’énergie. Le chat les suit avec grâce. Dans le bas broussailleux de ces rochers, nous avons repéré des souris et des lapins. Basile aussi. Concentré. 

C’est ici que le soleil se couche le plus tard de toute l’Europe. Mais nous n’aurons pas vraiment ce spectacle ce soir, l’horizon est recouvert d’une lointaine couverture nuageuse. Les géographes et historiens gréco-romains, comme une multitude de personnes, ont de tous temps été captivés  par ce lieux. Ils voulaient voir comment la mer avalait le soleil. La mer n’avalera pas le soleil ce soir, il se couchera tôt, dans son lit de coton, avant d’aller réveiller New-York.

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