Samedi 14 mars 2020. J247. Prohodna, Bulgarie. Voilà, l’angoisse que pouvaient ressentir les femmes et les hommes du monde entier face à l’épidémie coronavirus m’atteint à mon tour. Nous nous tenions volontairement à distance des médias depuis le début du voyage et peut-être encore plus ces derniers temps. Conséquences je ne savais presque rien de la situation et des risques. Une nuit à rechercher de l’information fiable, une nuit à gamberger, à évaluer quelle serait la meilleure option. Le démarrage de cette nouvelle journée est compliquée pour moi, j’ai envie de rester confinée au chaud dans mon lit et de ne pas en sortir. Du haut de ma capucine, je vois Pierre prendre patiemment tout en charge, la vaisselle, l’école, la Solène qui veut faire des légos dehors, la Capucine qui râle parce que ce n’est pas son jour “d’école sur la table”, la Lison qui fait ses exercices d’écriture avec minutie, et puis les maths de Capucine qui se passent encore mal. Je suis si bien sous ma couette…
Mais au bout d’un moment, Pierre sature et lance “Je vais visiter cette grotte, qui m’aime me suive !”. Évidemment, on le suit toutes. Même Capucine qui décide de venir mais en traînant les pieds quand même. Ha ces ados…
Grotte de Prohodna
Prohodna est une immense cavité karstique, peut-être trente mètres de hauteur, juste sous la route que l’on a prise la veille. Nous découvrons des formations rocheuses dans lesquels les écoulements d’eau ont dessiné des rayures le long des parois courbes. L’effet est très esthétique. En avançant dans la grotte, il y a ces fameux deux trous, en forme d’amandes, “les yeux de Dieu” les appelle-t-on ici. Effectivement, l’effet est spectaculaire. Leur forme est si parfaite. La lumière les traverse et donne l’impression d’être regardés par le très haut. Moi, j’y ressens un regard bienveillant, protecteur, confiant. Je m’assois, je respire. L’endroit est ressourçant. Je me remplis de cette confiance à toute épreuve que m’apporte la foi. Ça va aller. Nous sommes ensemble, nous vivons dans la nature, nous avons tout notre petit confort, nous sommes finalement bien lotis.
Qu’importe ce qu’il va advenir de la Carapate, nous n’avons pas de prise sur les événements qui chamboulent nos vies. “Oui à ce qui est” me disait ma sage-femme. Acceptons-les, ces changements, et continuons à nous attacher à ce qui est vraiment important. Être ensemble, instruire ses enfants, vivre avec les éléments. Ce voyage est une parenthèse bénie, que nous soyons ici ou ailleurs. Inch Allah, me disait mon père, Dieu nous garde.
Cette grotte n’est pas une grotte en réalité, elle s’ouvre de l’autre côté, c’est un tunnel, un passage sous le regard de Dieu. À l’autre extrémité, un couple d’amoureux s’apprête à sauter à l’élastique et un petit comité attend le saut en bas. Un saut dans le vide, un saut dans l’inconnu, un saut dans la vie à deux, beau temps mauvais temps. Le geste est beau, les amoureux pleurent, rient et s’embrassent. Moi aussi. “Maman, c’est chouette le saut à l’élastique, tu crois que…” me demande Lison l’intrépide. “Ha non ! Ça, je peux pas te voir faire ça, quelle frousse pour moi ! Tu feras ce que tu voudra quand tu seras adulte.”
Retour à la maison, repas au chaud en regardant les brebis passer dans le champ. Nous sommes bien ici. Les filles s’en retournent jouer. C’est le moment d’avoir une conversation sérieuse avec Pierre. Que fait-on ? Nous pouvons essayer de passer en Roumanie demain si nous le voulons. Ou nous pouvons décider de rester. Où risquer d’être coincés ? Bulgarie ? Ou Roumanie ? Nous pesons le pour et le contre. La situation sanitaire des pays. Le climat. En Bulgarie, il y a nos amis des @VertVanLife, c’est un gros atout pour nous. Notre décision, quitte à être coincés, mieux vaut l’être avec nos amis. Il faut nous accorder avec eux. Un appel. Eux ont les mêmes informations que nous, nous échangeons régulièrement ensemble. De leur côté, c’est aussi l’option Bulgarie qui l’emporte. Ils vont rejoindre sur leur route une autre voyageuse solo, pour de même ne pas être seuls. Nous croisons nos itinéraires, c’est entendu. RDV dans quelques jours du côté de Kazanlak. Après, nous rejoindrons ensemble la mer noire.
Ville de Lovetch
D’avoir eu une discussion avec Pierre et d’avoir posé une décision m’apaise réellement. Le voyage peut continuer. Direction cette troisième grotte, Devetaska, à quelque 1h30 de route. Avant d’arriver, un arrêt dans la petite ville de Lovetch pour y trouver de l’eau potable, j’ai repéré une source dans un parc. Nous la trouvons et demandons à une jeune maman qui promène son bébé si nous pouvons la boire. Oui, nous dit-elle, mais si vous en buvez, vous vous marierez dans l’année ! Pierre remplit son bidon de dix litres. “Elle m’a forcé à en boire dix litres !” lance-il blagueur à la bulgare. Elle éclate de rire, puis nous discutons un instant. Il fut très plaisant de croiser cette jeune femme, ouverte, souriante. Si les temps sont moroses, nous ne sommes pas obligés pour autant d’être aigri. Merci à elle.
Ce village a l’air bien mignon, un joli pont couvert traverse la rivière. Nous posons notre bidon et continuons notre exploration. Le pont couvert contient une galerie commerçante entièrement fermée. Et sur la place du village, une femme parle français au téléphone. Des français perdus ici ?! Nous saluons son mari et entamons la conversation. Patrick et son épouse accompagnent des jeunes en stage Erasmus-Leonardo ici depuis des années, ils connaissent le pays par cœur et sont visiblement mieux informés que nous. Non les frontières bulgares ne sont pas encore fermées. De même que les frontières roumaines. Première nouvelle. Nous vérifions toutes nos informations, prenons leurs recommandations. Nous aurions bien mangé ensemble ce soir, mais tous les restaurants de la ville sont fermés. Nous nous saluons après avoir échangé nos contacts. Une autre rencontre réconfortante.
Ce soir j’avais prévu de tester la réalisation d’une tarte, dans mon four-moule rond. J’ai acheté de la crème cet après-midi pour y faire fondre les épinards du marché des femmes de Sofia, c’est de la margarine, je me suis trompée. Il faut dire que la jeune vendeuse ne parlait pas un seul mot d’anglais, la communication était impossible. Tarte aux épinards quand même, et assez réussie.
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