Escale à Villa Përmet

Vendredi 7 février 2020. J221. Bains thermaux de Benja, Albanie. J’ouvre un œil. Je vérifie mes notifications. « Hey guys ! We saw you and your beautiful girls at Mrizi i Zanave last week. Now we are in Përmet at our hotel @villapermet, Come and visit us ! » Cool, une invitation ! Je me souviens de ce couple, il était sur la table à côté de nous vendredi dernier à la ferme-restaurant de Mirzi I Zanave.

Autour du petit déjeuner ensoleillé, je propose l’invitation à toute la famille. Acceptée. Rencontrer des gens, c’est ce que nous préférons. Mais avant de se rendre à cet hôtel, un dernier petit bain dans nos piscines chaudes s’impose. Papa et ses filles enfilent leur maillot de bain. Oui. Nous sommes en février, en Albanie.

Bon, il faut avouer qu’il ne fait pas bien chaud, peut-être 5°C à l’ombre, un peu plus au soleil et sans le vent. D’ailleurs, caché derrière le pont, il y a un second petit bassin abrité du vent et au soleil. Le bassin du matin. On n’est pas bien, là ?

10h. Je sonne le départ. Les filles prennent une douche car l’eau soufrée laisse une odeur sur la peau et les cheveux. Et puis nous partons. Nous faisons dix mètres, chrack, un gros bruit nous arrête. C’est la marche de l’Emile-Pat, restée ouverte, qui a arraché l’un des cailloux du bord du chemin et qui s’est complètement pliée. D’habitude, elle sonne quand elle n’est pas rangée. Nous sommes en rage. Pierre arrive à la replier un peu. Elle dépasse. En plus d’être cassée, elle est dangereuse… Encore un truc à réparer. À vrai dire, en ce moment, nous enchaînons les tuiles. L’évier bouché. L’ampoule du salon grillée. Un tuyau d’évacuation fendu. La table cassée. Un bout de pot d’échappement perdu… Nous passons du temps à réparer. Les camping-car sont des maisons de poupées, elles ne sont pas faites pour vivre longtemps dedans…

Bon, nous verrons à le démonter plus tard, pour l’instant, nous devons rejoindre l’hôtel car nous avons dit que nous passerions pour 11h et il est déjà 11h15.

Përmet

Nous voilà devant la Villa Përmet, une belle demeure toute récemment rénovée. Toute en pierre grise. Nous nous présentons. L’homme ne comprend pas notre histoire d’invitation sur Instagram. Do you want to book à room ? Nous lui montrons le message reçu. « OK, it is Sarah who send you this message, I will tell her. Come and enter. »

Nous entrons, Denis nous accueille avec enthousiasme. Il ressemble à un snowboarder, cheveux en vrac, sweat de marque. Je ne sais pas s’il était au courant de notre passage, mais il comprend très vite que nous sommes blogeurs et nous accueille très chaleureusement. Denis, Sarah, Angelo, Mary et Arbert sont associés dans ce projet d’hôtel à Përmet. Ils y travaillent depuis trois ans et sont à trois semaines de l’ouverture. En pleine phase de finitions et de communication.

Sarah nous a discrètement rejoint et nous accompagne pour la visite. Il est fier, Denis, de nous présenter la Villa Përmet, et tout le travail accompli. Et il peut être fier, l’endroit est magnifique, sobre et chic, moderne et respectueux des traditions locales. La bâtisse à été construite par un riche commerçant de la ville, au 18ème siècle. Plus tard, elle a été aménagée en école, car ses 14 grandes pièces avaient toutes une cheminée individuelle, ce qui était un luxe à l’époque de sa construction. Depuis trois ans, Denis et son équipe rénovent l’endroit en cherchant à utiliser les techniques et les matériaux locaux, et en faisant travailler les artisans du coin. Parquet en bois massif, murs en pierre conservés, dentelle traditionnelle pour voilage, et quelques meubles ou luminaires modernes, le mélange est délicieux.

Mieux comprendre l’Albanie

Après la visite, on nous offre une tasse de thé, locale. Et une belle discussion. Sarah, Angelo, Mary et Denis sont italiens. Ils travaillent dans le tourisme depuis longtemps et se sont installés ici en Albanie depuis plusieurs années. À cause d’Arber. Où plutôt grâce à lui.

Arber est albanais, Denis a été un temps son patron en Italie, ils se sont bien entendus et de fil en aiguille, l’amitié les a amenés à investir en Albanie, ce pays où tout est encore à construire. Désormais, Denis l’italien connaît bien le pays. Et il peut nous en parler. Nous pouvons poser les quelques questions que nous traînons depuis notre arrivée en Albanie.

Le futur en Union européenne

L’Europe ? Selon Denis, les albanais attendent leur entrée dans l’Union européenne pour pouvoir quitter massivement le pays. La pauvreté, le chômage, le manque de services et d’infrastructures est ici trop important et les jeunes rêvent d’une vie meilleure ailleurs. Pas dans leur pays. Lorsqu’ils parlent de l’Albanie, ils sont fiers de leur passé, romain, ottoman… À leurs yeux, l’Albanie était un grand pays, mais dans le passé. Aujourd’hui, ils n’y voient plus d’avenir. Denis et son équipe ne sont pas de cet avis. Eux voient la beauté des paysages, la douceur du climat, la qualité des traditions gustatives,… Et sont convaincus que le pays a un potentiel touristique fort. Qu’en développant le tourisme, on créera de l’activité qui fait vivre des familles et rapporte de la fierté. C’est le pari qu’ils ont fait en investissant en Albanie et dans la Villa Përmet, leur dernier projet. Ils jouent la carte du local et du soutenable. Ils font travailler les gens d’ici pour tous les services que requiert un hôtel. En ce qui concerne l’Europe, les entrepreneurs ne sont pas impatients. Ils veulent conserver les spécificités du pays, ses traits authentiques, et craignent les évolutions qui pourraient être imposées.

Les déchets

Le pays était très propre pendant le régime communisme, apprend-t-on. Pendant cette période, tout le monde surveillait et suspectait tout le monde, et personne ne faisait un écart. Aujourd’hui, une mauvaise habitude a été prise. Elle est le reflet de l’estime qu’ont les albanais pour leur pays. Pas très grande. D’ici un an, l’équipe voudrait que la Villa Përmet soit « zéro plastique ». Par exemple, ils ont demandé à l’usine d’embouteillage de la vallée de leur fournir de l’eau en bouteille de verre. C’est compliqué nous explique-t-on. Toute nouvelle idée est apparemment compliquée en Albanie. « Regardez les fromages, par exemple. On fait beaucoup de fromage, en Albanie, mais tout le monde fait le même ! » s’insurge l’italien qui aime les bons fromages au moins autant que les français. Une espèce de feta au lait de chèvre ou de brebis. Autre exemple. Le patron de Mrizi I Zanave, la ferme-auberge où nous avions croisé Sarah et Angelo la semaine dernière, c’est un albanais qui a commencé sa carrière en Italie et, séduit par le mouvement Slow Food, il est revenu en Albanie avec cette idée de restaurant où tout serait produit sur place. Il a été pris pour un fou, les gens sur place pensaient que c’était impossible de faire travailler autant de monde ensemble. Au début, peu de gens croyait en son projet. Aujourd’hui, son restaurant fait travailler tout le village et attire une clientèle internationale. « Et il produit même différents fromages ! » Renchérit Angelo, « Oui, on s’en souvient encore de son triple-crème, triple-coulant… »

Le gouvernement, engage-t-il des actions pour stopper les décharges sauvages ? Ici, dans les zones rurales, le sentiment dominant est l’abandon. L’Albanie compte 3 millions d’habitants, dont 1 million vit à Tirana. Les investissements publics hors de la capitale sont extrêmement dilués. Ici, comme dans toutes les campagnes, les habitants se sentent loin et peu pris en considération. Alors, si quelque politique venait à parler d’arrêter de prendre les rivières pour des égouts, il aurait peu d’écoute. Pour Denis et son équipe, il faut que les albanais regagnent de l’estime pour leur pays. Le tourisme, par la rencontre avec des visiteurs capables de s’émerveiller devant un paysage ou une église orthodoxe, peut le leur apporter. « Les choses vont changer, mais ça prendra une génération ».

L’Albanie, un pays sûr

Un autre sujet tient à cœur à l’équipe de la Villa Përmet, c’est celui de l’insécurité. L’Albanie a cette réputation de pays pauvre et peu fréquentable. En réalité, ce n’est pas le cas. « L’Albanie est un des pays le plus sécuritaire au monde » affirme Denis. Les albanais vivent en communauté qui n’accepte pas les comportements malhonnêtes ou mauvais, un héritage du communisme encore. « Si tu as fait quelque chose de mal, tu dois quitter la communauté, quitter le pays ». « Les mauvais albanais ont quitté l’Albanie, ils sont tous venus en Italie », renchérit-on en rigolant. Plus sérieusement Denis prend le temps de nous expliquer pourquoi les italiens ont cette mauvaise image en nous retrouvant la photo d’un boat-people avec plus de 20 000 albanais arrivant sur la côte Italienne, à Bari, à bord du Vlora en 1991 lors de la chute de la dictature communiste. Ici, les gens sont bienveillants et protecteurs envers les visiteurs. « Une famille qui visite l’Albanie avec des enfants, ça nous plaît, c’est signe qu’il n’y a pas de danger ». Effectivement nous ne nous sommes jamais senti en danger.

La discussion aura été longue. Plusieurs fois Denis nous demande si l’on veut rester dormir ce soir à la Villa Përmet. Ce n’était pas à notre programme,  explique-t-on gênés, pourquoi pas ? « C’est décidé, vous restez dormir, tranche Sarah ». Une invitation, ça ne se refuse pas ! « Voulez-vous que l’on vous installe un lit pour les enfants dans votre chambre où peuvent-ils dormir seuls dans une seconde chambre ? » Visiblement, ma réponse spontanée les fait beaucoup rire. Dormir à l’hôtel, oui. Avec ses enfants, sûrement pas ! Denis accompagne Pierre pour stationner l’Emile-Pat dans la cour. « Pierre m’a montré votre king-size », raconte-t-il amusé, « je vous prépare un king-size avec trois mètres de hauteur sous plafond, vous aurez un peu plus de place ! »

Nous nous sentons bien dans cette maison, accueillis comme si nous étions chez des amis.

Excursion, paysages et église orthodoxe Ste-Marie de Leuse

Cet après-midi, nous avons rendez-vous avec Dhimitri, un de leurs salariés, qui va nous emmener en Jeep voir une église orthodoxe non loin de là sur les hauteurs.

Nous sommes chouchoutés. Nous embarquons dans l’engin, Dhimitri démarre, Solène s’endort. Elle ne verra pas l’ascension qui pourtant secoue bien. Dhimitri nous emmène dans quelques villages alentours qui n’ont d’autre qu’une piste cabossée comme chemin d’accès. Comment aujourd’hui peut-on vivre dans un village sans route ? Le sentiment d’abandon, il est là. L’église est celle de Sainte-Marie de Leuse. Porte close. Dhimitri crapahute dans le village pour trouver l’homme à la clé. On nous ouvre, nous sommes bouche-bée. La petite église perdue au bout d’une piste déglinguée est un petit bijou. Entièrement peinte, du sol au plafond, d’icônes et de scènes orthodoxes. Quel travail !

De retour à Përmet, les filles installent les gros légo dans le salon de l’hôtel et jouent avec Asia, la fille de Mary et Arber qui a le même âge que Solène. Pierre et moi avons trois courses à faire en ville, nous les laissons. Et nous nous échappons. Mary parle très bien français, elle veille sur sa fille et les nôtres avec.  Elles sont comme chez elles maintenant, à étaler des jouets partout. Heureusement que l’hôtel n’accueille pas encore de clients…

Nuit king-size

Le coucher sera comme je le craignais. « J’ai pas sommeil !… », pleurniche Solène en cachant la vraie raison de son mal-être : dormir loin de ses parents. C’est vrai que nous sommes ce soir à douze mètres d’elle, soit 4 fois plus loin que d’habitude et séparé en plus par deux portes… « Je te prends dans mon lit, et quand tu dormiras, je te remettrai avec tes sœurs, d’accord ? D’accord ! » Imaginez la tête de Pierre quand je lui ramène Solène entre nous deux !… Mais ça marche, trois minutes plus tard elle dort et je la refourgue à ses sœurs. Plus tard, bien plus tard, c’est Capucine qui frappe à notre porte. « Je n’arrive pas à dormir… » Nous qui aurions aimé profiter du « king-size »,… En même temps, je la comprends la pauvre Capucine, ses deux sœurs se sont littéralement étalées sur toute la largeur de leur lit. Je repousse tout le monde, câline ma grande qui est encore petite. Et retourne à pas de loup avec mon amoureux.

Petit-déjeuner king-size

Samedi 8 février 2020. J222. Réveil divin. Le soleil se faufile entre les rideaux de velours bleu de cobalt. « Toc toc toc ». J’entrouvre la porte. « Je suis réveillée ! » me dit Solène toute heureuse et souriante avant de retourner dans notre lit. La lune de miel aura été courte. Dans leur chambre, les filles ont déjà ouvert grands les rideaux et le soleil inonde leur chambre. L’endroit est vraiment très agréable. Dans la salle qui servait de bureau à toute l’équipe hier, on nous a installé le petit déjeuner. Fromage, saucisse, œufs et toute une collection de confitures locales. Et un pain, hummmm, un pain de mie de boulanger, encore chaud et délicieux. Évidemment, nous goûtons méthodiquement à tout. Les filles adorent et dévorent leur petit déjeuner avec un appétit d’ogre.

Un au-revoir à Klodiana et Dhimitri qui officient au service ce matin. Nous leur confions tous nos compliments pour ce bel endroit. Denis et ses associés ont travaillé tard hier soir, nous ne les recroiserons pas ce matin. À regrets.

Ici, une nuit d’hôtel coûte 45€ en haute saison, à partir de 35€ hors saison. C’est à peine croyable par rapport à la qualité du service rendu et à la beauté du lieu.

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